Joana Hadjithomas & Khalil Joreige
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Joana Hadjithomas et Khalil Joreige sont nés en 1969 à Beyrouth (LB)
Ils vivent et travaillent à Paris (FR) et Beyrouth (LB) |
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Lasting images
2003
Film super 8 transféré sur DVD, couleur, son Edition 2/5 + 2 éditions d'artistes Durée : 3 ' Acquisition: 2009 |
En 2001, l’artiste et cinéaste libanais Khalil Joreige retrouve dans les archives de son oncle enlevé le 19 août 1985 et disparu depuis, une vieille enveloppe KODAK contenant un film super-8. Lasting images (images rémanentes) est ce film, finalement développé par l’artiste, et transféré en vidéo. Ce que révèle cette pellicule mystérieuse s’apparente d’abord à de l’abstraction: traces floues, évanescentes. De ces images abîmées, craquelées, surexposées émergent progressivement un bord de mer, quelques silhouettes fantomatiques. Rien à voir ou presque. Readymade malheureux. Mais fascinant. On pense aux pionniers du cinéma expérimental, au grattage sur pellicule et à certaines formes d’abstraction des avant-gardes. Voire, à la peinture expressionniste: formation d’un motif chaotique par voilage accidentel de la pellicule. En résulte une sorte de grésillement visuel comme ces images imparfaites qui reviennent de la mémoire, entre souvenirs et rêves, documentaire et fantastique. Mais au-delà, ou plutôt à travers cet aspect formel, ce film est une manière indirecte d’évoquer le sort des kidnappés des guerres civiles du Liban (1975-1990), officiellement « portés disparus ». Le film s’apparente à une sorte d’invocation visuelle comme si, au cœur de ces images brûlées, un message subliminal pouvait être délivré à travers le temps, de la même manière que certains médiums cherchaient à découvrir des témoignages de l’au-delà dans la neige télévisuelle ou le brouillage des ondes radio. Ce faisant, c’est un gouffre qui s’ouvre, une zone de non résolution, qui reste totalement ouverte. Comme le disent les artistes : « La latence est l’introduction du possible, l’état de devenir." 1. À la fois une réflexion sur le cinéma et sur l’histoire, ce film permet d’enserrer un dérangeant paradoxe : un disparu n’est ni mort ni vivant. Une sorte d’anti-«chat de Schrödinger», l’animal de la célèbre métaphore de la physique quantique, enfermé dans sa boîte dans un état double, mort ET vivant, et dont on déterminera le destin en ouvrant la boîte. Ici, l’ouverture, le dévoilement de la pellicule ne déterminera rien, mais rendra manifeste cette latence radicale, cet entre-deux éternel, qui possède sa part de sourde violence. Une irréductible contradiction qui fait tendre le document vers la fiction, proposant une sorte de devenir-romantique du politique. Ce faisant, l’œuvre questionne de manière critique les rôles du document et de l’historien, entre objectivité et subjectivité, réel et fiction, petite et grande histoire. L’image manquante, qui devient juste une « impression », donne un aspect fantomatique à un événement que les artistes font néanmoins passer de l’ombre (la pellicule, l’oubli) à la lumière (l’exposition, la mémoire). Cette surexposition forcée des points aveugles de l’histoire mise sur une trouble persistance rétinienne, qui manifeste une abstraction progressive du passé, mais aussi la nécessité vitale de le documenter, quitte à en forcer les formes de témoignage lorsque celles-ci ont été occultées. Guillaume Désanges 1 Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, in Home Works: A Forum on Cultural Practices in the Region, Ashkal Alwan, Beirouth, 2003. |
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