Après une pratique sculpturale menée dès le début des années 1960, David Lamelas s’est tourné vers une critique des medias. Tout en s’intéressant à des identités formelles aussi diverses que la performance ou le cinéma de fiction, son travail s’ancre dans une recherche autour de l’espace et du langage.
Projection s’inscrit dans la continuité des premières sculptures, si ce n’est que cette installation, réalisée une première fois en 1967 et réactivée en 2004, dématérialise la forme plastique. Dans un espace d’exposition qui devient ainsi une salle de projection d’un type particulier, deux projecteurs de film 16mm sont placés dos à dos. Le premier répand tout d’abord un faisceau lumineux percutant qui trouble la perception rétinienne du regardeur, avant de se noyer dans la lumière naturelle. À l’inverse, le second projette le même film sans images sur un mur qui fait écho à l’écran de projection traditionnel. L’autre anticipe donc ce dernier par l’intégration du spectateur dans les fils de la machinerie de projection. Il serait alors comme un degré zéro de l’artifice cinématographique, par dénudation de cette machinerie et de la puissance d’abstraction visuelle qu’elle stimule, rythmée par le bruit du défilement de la pellicule. Et cela s’opère sur un mode qu’on pourrait rapprocher de l’Expanded Cinema, le cinéma élargi dans son support de projection, tel que les avant-gardes cinématographiques new-yorkaises du début des années 1960 ont commencé à l’expérimenter. Ce, à la suite de Man Ray et de son «Bal Blanc» de 1930 qui consistait à projeter un film colorisé de Méliès sur les invités (habillés en blanc) des Pecci-Blunt dans leur hôtel particulier parisien. Chez Lamelas, il s’agit aussi de dénuder une forme, pour la rapprocher d’une autre et en proposer une troisième : la sculpture de l’espace. Parallèlement à cela, Projection annonce les futurs travaux de l’artiste sur les modes de codage de l’information : dans cette installation, il est aussi question d’absence d’indices sur la pellicule projetée. En réponse à celle-ci, la présence mentale du regardeur (en plus de son inclusion physique) est sollicitée : à lui d’inventer des images qui rempliront la surface vierge de la projection. C’est peut-être bien de la fragmentation de la vision à l’ère des technologies de masse, et de la déréalisation qu’elles provoquent, dont il est ici question. Et celle-ci passe alors par un jeu de déconstruction et de reconstruction formelles pour lequel le concept se conjugue avec le percept.
Frédéric Maufras