«Nous sommes sans arrêt confrontés à des quantités de phénomènes dont il est de plus en plus difficile de déterminer les causes.»
Elève des Becher à la Kunstakademie de Düsseldorf et influencé par les recherches de Gerhard Richter sur la représentation photographique, Thomas Struth incorpore pleinement les moyens techniques du médium à sa démarche conceptuelle afin de montrer la capacité spécifique de l’image à constituer du sens. Il pose ainsi un regard neutre et distancié sur le monde et ses habitants qu’il photographie avec la plus grande impartialité, en observateur de l’état des choses.
Dès 1975, il commence à photographier systématiquement des rues en Europe, aux États-Unis et au Japon, traquant ainsi des fragments de réel, des conditions de vie, dans le temps de la prise de vue. Cette étude, suivie en 1986 par une série de portraits domestiques, dédaigne toute expressivité des effets, tout drame intérieur projeté dans l’acte créatif, toute présence de l’artiste, pour se fondre dans l’objectivité du relevé systématique. Sans contenu esthétique ou documentaire, réduisant la profondeur de champ, l’aléatoire de la lumière et la perspective, le travail de Struth pose un regard raisonné sur les choses, tout en laissant ouvert l’espace photographié au foisonnement du vivant. Chargées d’un contenu symbolique et social qui les différencie de la tendance objective et froide de la photographie allemande (Becher, T. Ruff…), les images de Struth réfléchissent la richesse de l’histoire et les déterminismes socio-politiques à l’intérieur d’espaces culturels.
Les bâtiments alignés d’_Hubertusstraße_ montrent l’inhumanité des constructions d’après-guerre en Allemagne où se lit la culpabilité et la perte de l’histoire, Shibuya-ku n’est qu’une accumulation de signes et de mouvements, The Hirose Family expose les codes de représentation sociale et culturelle d’une famille japonaise à Hiroshima… Au cœur de l’être au monde, Thomas Struth vérifie des comportements, des mouvements gravés dans la structure des villes dont les multiples cicatrices racontent cette rencontre inconsciente de l’histoire avec son devenir.
Maïté Vissault