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Le paysage-monde

Définie comme « une étendue de pays que l’on embrasse d’un seul coup d’œil » et, en même temps, comme « genre de peinture »1, la notion de paysage exprime une dualité entre un pays « donné à voir » et son interprétation artistique. Mais cette dualité n’est qu’apparente, car il n’est de paysage qu’aperçu. En effet comme le dit Baudelaire « Si tel assemblage d’arbres, de montagnes, d’eaux et de maisons, que nous appelons un paysage, est beau, ce n’est pas par lui-même, mais par moi »2. Nature et culture habitent le paysage depuis l’origine de la pensée, de l’observation, de la contemplation, de la réflexion et, plus substantiellement, de l’être.

« Patrimoine de l’être », le paysage semble avoir perdu ses coordonnées d’origine pour se caractériser progressivement comme “patrimoine de l’avoir”, en parallèle avec la métamorphose qui l’a changé de « naturel » en « anthropique ». Dans ce processus, le paysage naturel, territoire de liberté et de vie, a progressivement changé de visage : il a accéléré ses dynamiques évolutives en ajoutant aux catastrophes accidentelles (séismes, tsunamis, éruptions volcaniques, inondations) celles résultant d’activités anthropiques (destruction, incendies, déboisement, excavations, pollution). Le paysage est ainsi plus que jamais le reflet des transformations sociétales et le témoin inquiétant d’une disparition possible.

On peut se demander si parfois l’artiste aujourd’hui ne mime pas le processus de disparition qui s’accélère autour de nous. Ses inquiétudes se traduisent par des œuvres éphémères, montrant des territoires à la dérive (Isabelle Krieg, Catharina Van Eetvelde), ou expriment l’impasse dans laquelle l’homme se trouve entre accroissement de la connaissance et souci de conservation (Julien Loustau), ou encore la perte définitive de repères (Fiona Tan).

Au-delà de ce constat, l’artiste fait corps avec le paysage, lui donne la parole. En agissant sur le paysage autrement qu’en prédateur, il y inscrit les signes d’une nouvelle alliance. Ainsi, si certains artistes (comme Michael et Barbara Leisgen) poursuivent cette idée propre au Land Art, d’autres inventent de nouveaux modes de représentation du monde. Les éléments cartographiques sont ainsi altérés et détournés au profit d’une mensuration perceptive. Les valeurs topographiques et leurs représentations traditionnelles se renversent (Neal Beggs) pour restituer au paysage sa variété originelle, expression de notre propre diversité intérieure.

1 Dictionnaire Quillet Flammarion, 1983.
fn2. Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques, Garnier frères éditeur, 1980

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