Wind
1968
Vidéo noir et blanc, non-sonore, film 16mm transféré sur DVD
durée : 5'37''
Acquisition: 2009
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Wind est un document en super 8 qui présente un groupe de personnes emmitouflées pratiquant divers mouvements individuels et collectifs sur une plage enneigée et battue par le vent. Les plans fixes se présentent comme une suite de mini-performances : traverser le champ en crabe avec des miroirs accrochés aux vêtements, marcher en restant collés dos à dos, enfiler et échanger ses vêtements, faire et défaire des grappes humaines, etc. Ces gestes, entre cérémonie et chorégraphie, sont rendus malaisés par la lutte contre les éléments naturels et saccadés par les sauts de la pellicule. Ils font apparaître les protagonistes dans une relation mécanique, voire marionnettique à l’espace, comme des pingouins sur la banquise. Une impression irréelle et burlesque, renforcée par l’usage de masques qui opèrent une réification de ces corps sans visage aux prises avec les intempéries. Slapsticks expérimentaux. Les mouvements, plus ou moins ordonnés, semblent parfois suivre un modèle organique : connexions et déconnexions d’unités, assemblages et désassemblages d’éléments ou d’individus soumis à des forces et des nécessités intérieures et extérieures au sein d’un système vivant.
En termes formels, cette représentation de paysage (animé) avec personnages, propose une fusion libre et dynamique des mouvements artistiques de son époque, entre cinéma expérimental, land-art et performance. Il s’agit de créer avec rien ou très peu, principes fondateurs de l’art minimal et conceptuel et plus encore de la performance. Joan Jonas a été très proche de la danse « postmoderne », qui à partir des années 1960 s’était réunie autour du Judson Dance Theater de New York, qui s’attachait à démystifier le processus chorégraphique. Privilégiant le poids des corps, l’attraction terrestre, la résistance, les gestes banals, mais aussi la maladresse et la confusion, au caractère virtuose, aérien, et déconnecté du réel de la tradition du ballet. Une pratique plastique du corps, qui associait des enjeux propres à l’art conceptuel, à la danse et à la sculpture. On décèle notamment dans « Wind » certains principes proches de la « Contact-Improvisation » du chorégraphe Steve Paxton qui travaillait des transferts de forces, d’énergie, privilégiant la chute des corps à leur arrachement à la pesanteur, dans une logique expérimentale, ludique et jubilatoire. Au-delà, l’œuvre semble aussi se placer au cœur d’une dialectique entre espace et temps, à la manière de Fluxus, John Cage, Bruce Nauman, Robert Morris, mais aussi du cinéaste
Jonas Mekas dans son rapport à l’enregistrement du réel. Dans une perspective plus historique, ces rapports physiques d’énergie et de tensions, de fusion avec la nature et de mouvements in situ, renvoient aux pionniers de la danse moderne, comme Jacques Dalcroze, Isadora Duncan et Mary Wigman (voir par exemple son Wanderung de 1924) : une manière d’animer le corps en même temps que l’esprit, par des mouvements collectifs simples et déterminés qui relèvent d’une forme profane de rituel, entre exercices de motricité et shamanisme.
Globalement, ces expérimentations de Joan Jonas résonnent d’un esprit et d’une ambiance propre à son époque, sous le signe du collectif, de la curiosité et du partage joyeux. L’anonymat des personnages conteste l’aura de l’auteur ou de l’interprète démiurge. À la place, se développe un travail libre, expérimental et désintéressé, fondé sur la décision, l’énergie et l’expérience plutôt que sur la recherche d’une forme définie. Un territoire mouvant de l’expérimentation artistique qui a libéré la créativité dans la deuxième moitié du XXème siècle.
Guillaume Désanges
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