Bañeras
2005
Installation, 320 diapositives, 4 projecteurs diapositives (35mm), 4 tables, un synchronisateur
Acquisition: 2009
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L’installation Bañeras se compose de quatre projecteurs contenant le même jeu de 80 diapositives, projetées côte à côte de manière synchronisée. Ces 320 images sont des variations colorimétriques d’une source unique : la photographie d’un nuage balayant le soleil, que l’artiste a extraite des archives de son grand-père J. R. Plaza, dans lesquelles il puise depuis 2003 pour fournir à ses œuvres leur matériau de base. Sur plus d’une trentaine d’années, ce mystérieux aïeul aurait constitué un fonds de 800 photographies, légendées et datées, dont le petit-fils ne cesse de réorganiser l’agencement en séries, moins destinées à documenter la saga familiale qu’à décliner l’histoire même du support photographique. L’artiste soumet cette réserve d’images à un épuisement formel obéissant à différentes stratégies typologiques et sérielles : l’exhaustivité avec Pequeña historia de la fotografia (2003) où la totalité des albums de J. R. Plaza se retrouve accrochée au mur, cadre contre cadre ; le formalisme avec la sélection de toutes les photographies verticales (Todas las fotografias verticales del archivo J.R. Plaza, 2004) ou encore la fiction avec cette série où le grand-père apparaît dans des mises en scène de sa propre imagination, déguisé en berger ou en ouvrier (Una tarjeta para J. R. Plaza, 2007), puis en cow-boy lors d’un voyage entrepris à Rock Springs en 1945 (A sombra e o brilho, 2007).
Dans cette perspective, l’installation Bañeras tire son titre du nom de la place de Mexico où le nuage aurait été photographié. Il y a ici comme une volonté d’enraciner dans le réel cet objet trouvé, légendé et daté, contrebalançant le caractère générique de l’image, mais aussi la suspicion que l’on pourrait avoir concernant cette collection providentielle et son étonnant créateur. Bonillas a numérisé l’image du nuage pour en moduler ensuite les nuances, par addition ou soustraction de rouge, vert ou bleu, et en jouant sur la luminosité. À ces manipulations numériques s’ajoute un jeu de réflexivité entre l’image et son support, puisque le soleil voilé évoque l’ouverture mécanique du diaphragme ou celle organique de la pupille de l’œil, et donc l’impression de la pellicule ou de la rétine. Extrêmement simple dans ses procédés, Bañeras est donc un dispositif de mise en abîme complexe de la photographie, qui convoque des tensions entre figuration de type pictural et protocole conceptuel, caractère anonyme de l’image et personnalisation exacerbée de son auteur, plaisir esthétique et rationalisme documentaire. L’œuvre questionne également en actes les vertus reproductives de la photographie, puisqu’à partir de la même source, chaque image est différente selon son mode de tirage, tandis que chacune des quatre projections est rigoureusement identique. Ce faisant, l’œuvre convoque aussi bien la tradition naturaliste (la vision céleste) que le pop art (via la répétition du motif et les manipulations chromatiques mécaniques). Plus profondément, ces processus de dosages, de quantifications et de classements inscrivent sa pratique dans un sillage conceptuel, mais mâtiné de romantisme. Bañeras pourrait même être la fusion de deux grilles conceptuelles fameuses : la disparition progressive d’un nuage photographié à intervalles réguliers de Peter Hutchinson (Dissolving Clouds, 1970) et l’assombrissement régulier d’un mur blanc photographié douze fois avec des vitesses d’obturation différentes de Jan Dibbets (A White Wall, 1971). Une actualisation des protocoles de l’art conceptuel chargée d’un souffle fictionnel, nostalgique et poétique.
Guillaume Désanges
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