Découvrir le monde
2001-2003
Photographies couleur, tirages cibachrome
50 x 75 cm chacune
Acquisition: 2005
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La pratique d’Isabelle Krieg a cela de singulier qu’elle tire parti d’éléments du quotidien pour en extrapoler des récits intimes et ad minima. D’objets domestiques ou surgis de l’atelier assemblés avec des branchages en forme de cours d’eau comme dans Curriculum (2004), en titres évoquant un univers personnel doucereusement réinfantilisé (
Voie lactée, Shaumschauen, Maman…), l’usage du ready-made est repris dans son acception la plus sensuelle et poétique. Avec Découvrir le monde, on retrouve le même mode de sollicitation visuelle et verbale. Pour cette série de photographies, les contours du monde ont été tracés de manière discrète sur divers supports: sol décrépi, affiche lacérée sur un mur, rebord de fenêtre. La forme de ce travail oscille alors entre plusieurs modalités : interventions éphémères à la limite de l’immatérialité, ready-made assisté mais aussi photographies très minutieusement composées. On pourrait alors citer les vues introspectives photographiées depuis leur fenêtre par Joseph Sudek et André Kertesz, l’un parce qu’il a perdu l’usage complet de ses mouvements corporels, l’autre, parce qu’il se perd en lassitude dans New York, loin de Paris et de l’Europe tant regrettées. Mais dans la terminologie de Roland Barthes, le studium et le punctum de l’image se confondent chez Isabelle Krieg. La carte du monde se situe, si ce n’est au premier plan, au moins toujours à un point ou dans un axe stratégique de l’image. Le regard est donc pris dans un tourbillon de signes diffus et on ne sait quoi regarder en premier : est-ce une bicyclette dont le guidon est orné de branchages qui se trouve dans le coin supérieur droit de l’image ? L’abstraction formée par le planisphère sur un mur où les strates de peinture colorée se dévoilent en se détachant ? Ou encore un panneau de circulation sur un réverbère dressé au milieu d’un jeu de lignes urbaines vues au travers d’une fenêtre, au rebord de laquelle se retrouve le fameux identifiant visuel commun à la série ? Et le titre des images joue de la même ambiguïté: découvrir le monde, comme un slogan rabâché tant par les compagnies transnationales que par les nouvelles PME de la globalisation (sphère et
«monde» de l’art contemporain international inclus), mais aussi dé-couvrir le monde, comme regarder le monde dans ses moindres aspects, y compris les plus interstitiels. Les deux ne sont d’ailleurs pas contradictoires, bien que le premier sens semble légèrement ironique. Loin du mythe de la globalisation qui uniformiserait la face visible du globe, c’est alors plutôt à la contemplation d’une vision périphérique et intimiste de la fragilité que semblent appeler si délicatement ces photographies.
Frédéric Maufras
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