Container 2
1991
Plastique polyéthylène, bois
67 x 116 x 47 cm
Acquisition: 1995
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Quant au lieu où se trouve, nécessairement, tout objet d’art, trois attitudes sont possibles. Soit, l’indifférence souveraine ; l’œuvre ni ne cherche à s’indexer sur son site d’accueil, ni n’exhibe sa liberté à l’égard de ce site ; c’est l’attitude du plus grand nombre des objets d’art présentés. Soit, l’œuvre peut décider de se lier au lieu où elle se rend visible. Soit, encore, l’œuvre peut choisir d’assumer sa mobilité, de l’exalter ou de l’exhiber. C’est cette attitude, la prise en compte par l’œuvre d’art de sa mobilité, qui signale le Container de Stephen Hughes, selon un mode tout à la fois simple et spectaculaire: l’objet d’art est exposé dans le conteneur qui lui permet de voyager. Se voit désignée, d’une part, une mobilité structurelle, en vertu de laquelle tel objet n’est nullement assigné à une place précise dans l’espace. Le sens de l’œuvre est alors le suivant : si l’objet d’art n’est pas affecté par quelque surdétermination topique, il est, par conséquent, mobile, libre de toute attache locale, et se doit d’exhiber cette liberté. Mais, avec le Container se voit, d’autre part, désignée une mobilité conjoncturelle, en vertu de laquelle les objets d’art circulent d’un lieu à l’autre, au gré de leur existence spectaculaire ou marchande. Le voyage que promet le conteneur de Hughes n’est toutefois pas seulement celui qui mène d’un lieu d’exposition vers un autre. Il est aussi celui qui conduit du lieu d’exposition vers la réserve du musée, de la galerie ou du collectionneur. Le conteneur n’est pas que l’accessoire du transit, il est également celui du stockage. Que le destin le plus probable de l’œuvre d’art soit, non l’exposition, mais le stockage, dans une caisse, au fond d’une réserve, voilà ce que suggère le Container. Les conservateurs ne sauraient démentir Hughes sur ce point. Enfin, si l’on s’avise que la saisie du sens d’un signe a souvent été figurée comme le passage d’un contenant à un contenu, le Container, uniquement en ce qu’il donne à voir un contenant – qu’il est permis au spectateur d’ouvrir ou de fermer – et un contenu, peut fonctionner comme l’emblème de l’acte sémiotique. Mais la nature du contenu offert à la vue par le conteneur ouvert conduit à se demander s’il convient de ne voir, dans le Container, que la simple désignation du statut sémiotique de l’œuvre d’art. En effet, les objets de plastique jaune défient toute saisie conclusive. Difficiles à échanger contre une idéalité, dépourvus de cette vocation utilitaire que certains de leurs traits paraissent leur valoir, rétifs à la caractérisation stylistique, ces artefacts semblent avoir pour fonction essentielle de déjouer la capture interprétative. Le Container ne laisserait-il pas entendre autre chose ? Ceci, par exemple: ce dont on peut être sûr, s’agissant d’une œuvre d’art, c’est qu’elle est à propos de quelque chose ; savoir à propos de quoi elle est précisément, voilà bien une autre histoire, dont le fin mot, à supposer qu’il vaille la peine de le connaître, risque bien, de toute façon, d’être équivoque.
Michel Gauthier
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