Née en 1956 à Atlanta (US). Vit et travaille à Chicago (US)
2006
Drapeau en coton décomposé
2,74 x 1,52 m
Acquisition: 2015
Claire Pentecost est une artiste-chercheuse : apprendre, ou plus exactement décrypter le fonctionnement de la société, et diffuser ses recherches, que ce soit à travers des dessins, des installations, des photographies, mais aussi des conférences et des écrits, est le moteur de son processus créatif. Ses domaines d’études, qui mêlent les rapports de l’humain à la nature, à la circulation des savoirs, à l’économie et aux rapports de domination, expriment ses profondes préoccupations politiques et écologiques. Ses travaux font écho à d’autres artistes, comme Agnes Denes, Mierle Laderman Ukeles et le collectif Critical Art Ensemble, avec qui elle a collaboré, ainsi qu’à des chercheur-e-s, tel que Timothy Morton, et à des activistes – Claire Pentecost fait par exemple partie de Compass, un groupe d’artistes et d’activistes – qui visent à faire émerger des prises de conscience sur les manières dont nous habitons le monde et sur la complexité de nos relations avec l’environnement afin de provoquer des changements sociétaux.
L’artiste examine notamment les applications des biotechnologies dans le domaine agricole, comme les organismes génétiquement modifiés et les pesticides. Elle se positionne comme un « amateur public » [public amateur] : elle mène ses investigations, non pas du point de vue de l’experte, mais de celui de l’observatrice indépendante introduisant des questions à caractère public parmi les savoirs spécialisés. Ainsi, ses œuvres s’inscrivent dans une démarche d’interrogation et de restitution des connaissances privatisées via la propriété intellectuelle par des autorités dont les intérêts économiques négligent les risques connexes à l’utilisation de substances chimiques sur notre santé et sur notre environnement, mais aussi leurs effets en termes de justice sociale.
Proposal for a New American Agriculture (2006) est une photographie documentant le résultat d’un processus de lombricompostage initié par l’artiste dans le sous-sol de sa maison. Pendant plusieurs mois, des milliers de vers se sont nourris de ses déchets de cuisine auxquels elle a intégré un drapeau en coton des États-Unis qu’ils ont transformé en compost. Ne subsiste qu’un drapeau en lambeaux pouvant signifier l’état du sol aux États-Unis détérioré par l’agriculture industrielle. Cependant, le titre de l’œuvre nous éloigne du constat pour nous orienter vers une alternative concrète applicable à l’échelle individuelle aussi bien que collective : pourquoi ne pas nous (ré)approprier ce procédé simple de transformation des déchets vers une matière durable et nutritive et participer à la restauration d’un sol en bonne santé ? L’œuvre devient ainsi une proposition pour perpétuer le savoir collectif sur le sol accumulé depuis des générations tandis que l’industrie cherche à remplacer des processus naturels par l’utilisation de produits chimiques qui appauvrissent le sol et nous rendent dépendant-e-s de leurs utilisations, comme l’artiste le souligne dans l’ouvrage Notes from Underground publié dans le cadre de la dOCUMENTA (13) (2012).
For the Body Without Organs to Sense (2015) est un mobile constitué de cages à oiseaux de mineurs de fond. Ces objets renvoient à la pratique utilisée par les mineurs pour détecter la présence de monoxyde de carbone en fonction de l’attitude de l’oiseau, capable de percevoir ce gaz inodore pour l’humain. Le nombre de cages évoque l’accident minier de Copiapó (Chili) durant lequel trente-trois mineurs sont restés bloqués sous terre pendant plus de deux mois en 2010. L’œuvre fonctionne comme un rappel des conditions de travail à haut risque liés à l’exploitation minière : cet événement surmédiatisé a-t-il eu un réel impact sur ces dernières ? La question reste en suspens. Trente-deux des cages contiennent chacune du coke de pétrole, un déchet de raffinage du pétrole composé majoritairement de carbone, moulé en forme d’un sein, comme un symbole à la fois de l’addiction de notre société au pétrole et de l’enrichissement des corporations minières et pétrolières au détriment de la santé publique. À ce propos, en 2014, année de création de l’œuvre, des habitant-e-s de Chicago, où vit Claire Pentecost, manifestent pour lutter contre les poussières de coke de pétrole issues d’amas de stockage qui polluent leurs zones de vie. Détenu dans une cage, un canari interrompt cette structure : représente-t-il ce « corps sans organes », un concept philosophique développé par Gilles Deleuze et Félix Guattari formulant le désir comme production et traduisant un pouvoir d’agir, pour percevoir la réalité, mettre à jour les connexions entre nos modes de vie, l’environnement et la société, et se libérer des mystifications qui entravent notre compréhension du monde ?
Émilie Blanc