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Monica Bonvicini

Née en 1965 à Venise (IT)
Vit et travaille à Berlin (DE) et Los Angeles, Californie (US)


Plastered

1998
Polystyrène, plaques de placoplâtre
Dimensions variables
Acquisition: 2003


Le destin de toute œuvre d’art ? Être préservée, des atteintes du temps comme de celles du public. Monica Bonvicini livre au contraire son travail à une promesse de destruction. Constituée d’un faux sol de plâtre et polystyrène, posé à même le sol du lieu d’exposition, son installation Plastered se détériore au fur et à mesure que les visiteurs l’arpentent. Au fil de leurs pas, l’espace
lisse se craquelle, jusqu’à n’être plus que champ de ruine, grise mer de glace. L’œuvre connaît son aboutissement dans sa théâtrale démolition. Difficile de ne pas penser à Marguerite Duras et ses tentatives de déstructurer l’œuvre d’art, dont l’artiste s’est ouvertement réclamée dans Destroy She Said (1998).
Acteur de cette esthétique de la désolation, le visiteur est invité à entrer dans un processus de déconstruction parallèle à celui qu’entreprend l’artiste depuis le milieu des années 1990. Féministe vandale, héritière
de «l’anarchitecte» Gordon Matta-Clark autant que de la politique Martha Rosler, Monica Bonvicini s’acharne à mettre à nu toutes les idéologies sous-jacentes à l’architecture,
révélant combien le moindre espace s’avère
profondément déterminé culturellement, et sexué absolument.
Comment il est lieu de répression, d’autorité
(masculine, intellectuelle), incarnation de toutes les mécaniques de pouvoir…
De ces espaces apparemment lisses, elle fait des espaces chargés d’irrationnel, de sexuel. Il lui arrive ainsi de se pencher sur les anti-héros de l’épopée de l’architecture : les ouvriers. Ou de mettre en scène le machisme inhérent, selon elle, au dogme moderniste et minimaliste. En témoigne son œuvre Je crois en la peau des choses comme en celle des femmes, inspirée d’une citation du Corbusier: un espace affolé, martelé, que vient relever un petit dessin d’un homme en érection, accompagné de la phrase «Une fenêtre est un homme, elle tient debout», signée Perret.
Sa vidéo
Hammering out (sous-titrée «une vieille dispute») est l’une de ces réactions enragées qu’elle sait opposer à de tels postulats. On y voit un bras, qu’on devine féminin, s’attaquer à un mur à l’aide d’une masse. Pour elle, le mur incarne la transposition dans l’architecture du pouvoir phallocratique ; mais il est aussi le lieu de toutes les métonymies : métaphore de la séparation entre genres, entre classes ; impasse théorique et lieu du non-dit. Peu à peu, sous les assauts du marteau, apparaissent les briques de la strate inférieure : allusion à cet éternel retour auquel est contrainte toute création, mais aussi à tous ces discours cachés qui servent de base conceptuelle à ces espaces apparemment neutres.
«Pour moi, une architecture neutre n’existe pas. Rien n’est neutre à partir du moment où tu ouvres une porte et entres quelque part», déclare-t-elle1. Cette vidéo fait écho à une autre, antérieure : intitulée
_ Wallfucking_
(1995), elle témoigne de l’érotique rencontre d’une jeune femme nue avec l’angle d’une pièce. Plutôt qu’abattre, pervertir ? Mis face au mur, le corps féminin devient le lieu de toutes les contestations.

Emmanuelle Lequeux

1 In entretien mené par Michele Robecchi pour Contemporary, Londres, n° 74, 2005.