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Marcia Kure

Née à Kano (NG). Vit et travaille à Princeton (US).


Ethnographica IV

2014
Collage sur Papier Arches Hot Press Watercolour 300LB.
60.9 x 45.7 cm


Marcia Kure est une artiste nigériane qui vit aux États-Unis. Elle a été formée à l’Université du Nigéria-Nsukka, notamment par le peintre Obiora Udechukwu. Les quatre collages de la série Ethnographica (I, IV, V et VI) de Kure peuvent se lire comme une tentative, appliquée par l’artiste à de multiples médiums, de donner une forme métaphorique et critique à des corps humains et à ce qui les habille. « Ce qui les habille » pouvant être ce qui les protège, les cache, ou les pare, mais aussi ce qui participe de ce qu’ils doivent et souhaitent dire d’eux-mêmes. Chez Kure, le travail du tissu, de l’aquarelle ou la technique du découpage-collage, sont au service de la construction de corps humanoïdes hybrides, toujours chargés semble-t-il de dévoiler les errances du concept même — et peut-être du désir même — d’identité ou d’appartenance à une culture. Les collages sont un moyen de fusionner, mais aussi de faire se chevaucher (et donc lutter les unes contre les autres), des bribes d’images issues d’univers qui a priori ne se rencontrent pas, par exemple la culture hip-hop et la mode de l’époque victorienne. Pourtant, il arrive régulièrement que ces univers se rencontrent, dans nos sociétés mondialisées, multi-influencées, où la mode, la musique ou la publicité, les mixent sans hésitations. Les créatures d’Ethnographica sont de cet ordre : elles sont contemporaines, elles samplent — le sampling demeurant un concept très productif pour penser le XXIe siècle 1 — images ethnographiques issues de classifications impérialistes, motifs de tissus anciens, photographies de musiciens hip-hop, reproduction de sculptures antiques, page de mode de magazines « féminins » et photographie documentaire animalière issue des pages du National Geographic. Mais l’ensemble fait tout de même corps : un corps qui se tient, au-delà de son apparence chaotique. Avec Ethnographica, l’ethnographie — méthode des sciences sociales qui étudie les mœurs et les coutumes de populations déterminées — est mise en question dans sa définition et son histoire, elle qui s’est avant tout attachée aux sociétés dites « primitives », qui a été créée pour les mettre à distance, mais qui doit revoir aujourd’hui sa manière même de considérer son objet d’étude et de le choisir. Kure bricole avec sophistication des corps composites à la manière d’une chercheuse : corps du passé et du présent, corps cousus et couturés (par exemple The Three Graces, 2013, où le feutre découpé et cousu, les perruques en matière synthétique et les boucliers de bois donnent forme à trois portraits d’illustres femmes — ou groupe de femmes — africaines), corps troubles et aquarellés (par exemple The Renate Series, 2013, représentations spectrales, à travers leurs attributs vestimentaires, de travailleurs dont l’histoire ne peut se souvenir que comme des anonymes), corps découpés et collés (arrachés à leur milieu et bouturés à d’autres). Ces corps sont en effet une manière de découvrir à quel point nous souhaitons nous conformer à des modèles esthétiques (corporels et vestimentaires), mais aussi de comprendre d’où vient ce que nous portons (vêtements, coiffure ou cicatrices). Kure, en résidence en 2014 au V&A Museum à Londres, analysait le geste enfantin du déguisement perpétué par l’adulte pris entre des cultures parfois disjointes, entre des impératifs inconciliables, entre des esthétiques contradictoires. Chez Kure, le corps contemporain n’échappe pas à son histoire. Au contraire, il incorpore cette histoire et elle devient matière. Quelque chose qui n’est plus seulement mental, mais que l’on peut toucher : chéloïde, chaîne en or, voile et autres morceaux de tissus.

Eva Barois de Caevel

1 « Le sampler, machine de retraitement des produits musicaux, implique lui aussi une activité permanente […]. Ce recyclage de sons, d’images ou de formes implique une navigation incessante dans les méandres de l’histoire de la culture – navigation qui finit par devenir le sujet même de la pratique artistique. L’art n’est-il pas, selon les mots de Marcel Duchamp, “un jeu entre tous les hommes de toutes les époques” ? […] Lorsqu’un musicien utilise un sample, il sait que son propre apport pourra être repris et servir de matériau de base pour une nouvelle composition. Il considère comme normal que le traitement sonore appliqué à la boucle empruntée puisse à son tour générer d’autres interprétations, et ainsi de suite. Avec les musiques issues du sampling, le morceau ne représente rien de plus qu’un point saillant dans une cartographie mouvante. Il est pris dans une chaîne, et sa signification dépend en partie de la position qu’il y occupe » (Nicolas Bourriaud, Postproduction – La culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain, Paris, Les Presses du réel, 2004, p. 11-13).