retour

Claire Morel

Vit et travaille à Mulhouse (FR) et à Paris (FR).


33 hab/m2 (ou X hab/m2),

2013
Papiers imprimés. L'oeuvre se compose de pages de dédicace imprimée.
Dimensions variables
Acquisition: 2013


Blanchot, Borges ou Foucault : voici quelques auteurs fameux auxquels Claire Morel rend hommage depuis 2005, soumettant leurs ouvrages à des pratiques fétichistes fréquentes chez les bibliophiles de son espèce (tendance graphiste-typographe). Si les répliques qu’elle édite conservent le format, la pagination et le grammage des publications originales, elles en digèrent cependant le contenu par divers jeux de caviardage, de trame ou d’encodage. Copiste déviante, l’artiste reclasse par exemple toutes les lettres d’un livre par ordre alphabétique ou précipite au pied de chaque page rendue vierge une marge noire équivalente à son taux d’encrage initial. La jeune femme revisite ainsi les collections les plus respectables de sa propre bibliothèque : de la très prestigieuse Nouvelle Revue Française chez Gallimard aux mythiques Éditions de Minuit, connues pour avoir publié Beckett ou Duras. Des publications qui relèvent la plupart du temps d’une littérature sur la littérature, et dont les auteurs parlent souvent d’autres auteurs.

Nourrissant un goût particulier pour ce que Gérard Genette a baptisé le paratexte 1, Claire Morel aime manipuler « l’entourage » du texte qui fait de lui un livre : titre, sous-titre, intertitre, prière d’insérer, préface, post-face, notes, etc. Succédant à la page de titre, la dédicace rend hommage à l’inspirateur ou au protecteur de l’écrit qu’elle introduit. Pratiquée depuis la Rome antique, elle va de la courbette diplomatique à la déclaration d’amour. Après avoir collecté plus de six cents dédicaces dans la littérature générale, Claire Morel écume celles parues dans la science-fiction pour en tapisser intégralement le mur d’exposition, à la manière d’un papier peint. Avec ses quelques 33 pages par mètre carré, 33 hab/m2 (2013) convoque ainsi une densité humaine que signale son titre démographique, les auteurs SF aimant dédier leurs œuvres à une faune particulièrement fantaisiste allant des « humanoïdes sinanthropes » à « tous les robots de la Terre ».

La science-fiction étant par excellence une littérature collective, « fortement marquée par cette conscience particulière qu’ont ses auteurs d’échafauder leurs œuvres sur celles de leurs devanciers 2», les hommages convoquent d’abord les pères spirituels : à Catherine L. Moore « Première Dame de la science-fiction », à Isaac Asimov « avec mon plus profond respect », etc. À cette communion spirituelle s’ajoutent la reconnaissance envers les intimes (« À ma mère ») et l’allusion ironique aux poncifs du genre (« À la quatrième dimension »). Enfin, un dernier dédicataire occupe une place de choix dans la science-fiction : le lecteur. En effet, tout auteur a d’abord été un lecteur avide, un fan capable de patienter des heures dans des séances de signature pour obtenir de son écrivain favori un autographe dédicacé. Un rituel de dévotion d’ailleurs intensément pratiqué à Metz, où 33 hab/m2 a été activé pour la première fois 3 , et où s’est tenu de 1976 à 1986 le mythique Festival International de la Science-fiction et de l’Imaginaire.

Hélène Meisel

1 Gérard Genette, Seuils (1987), Paris, Éditions du Seuil, 2002.

2 Pierre Versins, « La science-fiction est-elle une subculture ? », dans Science-fiction, cat. ex. [28 nov. 1967 – 26 fév. 1968, Musée des Arts Décoratifs, Paris], Paris, Musée des Arts Décoratifs, 1967, p. 5.

3 Dans le cadre de l’exposition « Si ce monde vous déplaît », 8 nov. 2013 – 9 fév. 2014, Frac Lorraine, Metz.

www.clairemorel.net