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Nancy Holt

Née en 1938 à Worcester, Massachusetts (US). Décédée en 2014 à New York (US).


Sun tunnels

1978
Film 16 mm transféré sur vidéo, couleur et son
durée : 26’31’’
Acquisition: 2011


Nancy Holt est de cette génération d’artistes subjugués à la fin des années 1960 par l’immensité du Grand Ouest américain : des paysages désertiques et désertés, chargés d’une géologie et d’une archéologie millénaires. Dès 1973, l’artiste new-yorkaise se met en quête du site idéal où intégrer ses Sun Tunnels : un désert plat entouré de montagnes basses. Ce sera dans le nord-ouest de l’Utah, dans une vallée modelée par un lac préhistorique disparu, dont le Grand Lac Salé est un résidu. Les 16 hectares qu’elle y acquiert en 1974 sont si reculés qu’il faudra tracer une piste pour les atteindre. Comme beaucoup d’œuvres du Land Art, les Sun Tunnels supposent donc un pèlerinage difficilement réalisable. Or, comment soupçonner l’ombre, la fraîcheur et la résonnance caverneuses des tunnels sans s’y être faufilé ? Pour pallier cette inaccessibilité relative, l’artiste convie une équipe de tournage à en suivre le chantier. Plus qu’un simple making-of documentaire, le film qui en résulte immortalise le site de quelques travellings mémorables. La caméra qui gravite autour de l’œuvre, embarquée sur un hélicoptère ou dans une voiture, corrobore les Sun Tunnels dans leur fonction essentielle : canaliser la lumière, cadrer la vision.

Les quatre conduites de béton armé seraient donc de gigantesques longues-vues braquées sur le soleil. Dès 1972, l’artiste installe ici et là des tubes plus ou moins larges, des locators (« repères » ou « localisateurs ») qui permettent de voir vers et à travers : parfois vers les points cardinaux, parfois à travers une dune de sable. Comme on le suppose des pierres de Stonehenge ou des pyramides de Gizeh, les conduits des Sun Tunnels respectent un alignement astronomique, en l’occurrence calculé pour qu’à l’aube et au crépuscule des solstices d’été et d’hiver, le soleil se lève et se couche dans l’axe exact de chacun des tunnels. Un plot ancré au centre de l’observatoire situe le pivot où se tenir pour avoir l’astre en ligne de mire ; et viser, d’est en ouest, ses amplitudes extrêmes 1. D’autres étoiles s’invitent au rite solaire, perforant chacune des buses de leurs constellations.

Même si l’ombre d’un mysticisme new age plane sur l’œuvre, l’objectif reste concret : il s’agit de cadrer l’immensité du désert pour en humaniser l’échelle, de coïncider avec les cycles de la Terre pour en révéler la rotation. Machine cosmique et machines de chantier se rejoignent dans une même conscience primordiale, proche du « futur préhistorique » décrit par l’artiste Robert Smithson, compagnon de Nancy Holt. De même que la pelleteuse serait un « dinosaure cuirassé » 2 forgé à partir des matériaux excavés de la terre, le béton ne serait plus la substance amnésique de la modernité mais un agrégat de sable et de pierres puisés des sols ancestraux. Romantisme et tractopelle ne seraient donc pas si contradictoires.

Hélène Meisel

1 Dans l’hémisphère nord, le soleil du solstice d’été se lève et se couche au nord-est et au nord-ouest, celui du solstice d’hiver, au sud-est et sud-ouest.

2 Robert Smithson, « A sedimentation of the mind : earth projects » (1968), in Robert Smithson : The Collected Writings, Berkeley Los Angeles London, University of California, 1996, p. 101.