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Roman Opalka

Né en 1931 à Hocquincourt (FR). Décédé en 2011


ROMAN OPALKA / 1965 / 1 -infini, N.D

2008
Edition limitée, 298 exemplaires numérotés et signés : 50 autoportraits présentés dans un coffret
24 x 30 cm
Acquisition: 2011


Tandis que le rejet de la subjectivité bat son plein dans les chapelles minimales et conceptuelles, Roman Opalka entreprend au milieu des années 1960 un programme à contre-courant, associant deux modalités que l’on croyait révolues : le pictural et le biographique. La peinture et l’autobiographie auxquelles l’artiste se consacrera exclusivement jusqu’à sa disparition, 46 ans durant, n’auront cependant d’autre finalité que leur mise à mort réciproque. Loin des clichés d’égotisme ou d’héroïsme qui discréditent souvent la peinture existentielle, Opalka planifie un protocole imparable, fait pour neutraliser la nouveauté, l’anecdote et l’expression personnelle. Dès 1965, il entreprend à Varsovie OPALKA 1965/1-∞, l’œuvre de sa vie. Ascétique, le rituel est invariable : peindre debout, sur des toiles de 195 par 135 cm, au pinceau Rowley n°0, de l’angle supérieur droit à l’angle inférieur gauche, sans point ni virgule, en blanc sur noir, la suite des nombres entiers à partir de 1.

La rigueur et la monotonie délibérées du projet n’empêchent pas l’apparition d’aspérités liées à la gestualité de l’ouvrage : des lézardes s’insinuent entre les vides d’une ligne à l’autre, tandis que des traînées horizontales s’évanouissent à mesure que le pinceau se tarit. Comme la queue évanescente d’une comète, la peinture filante s’enfle et s’épuise, continuellement relancée sous l’effet d’une pulsation endurante. L’artiste aurait d’ailleurs souffert d’arythmie cardiaque en réalisant la première de ces toiles appelées Détail, assommé sans doute par l’énormité du décompte qu’il commençait. Sans velléités mathématiques ni kabbalistiques, Opalka égrène les nombres comme on parcourt un chemin, ému par certains tournants décisifs. C’est lorsqu’il atteint le million en 1972 qu’il décide d’ajouter trois paramètres à son programme : adjoindre 1% de blanc au noir du fond de chaque nouvelle toile ; enregistrer sa voix murmurant en polonais les chiffres peints ; photographier son visage après chaque séance de travail devant le Détail en cours.

Systématiquement noir et blanc, cadrés de près, éclairés de front, ces autoportraits observent une invariabilité calculée. Toujours dans la même chemise blanche, l’artiste maintient une expression outrancièrement neutre. Tout cela devrait converger à l’établissement d’une identité invariable ; pourtant, Roman Opalka n’est jamais le même puisqu’il vieillit. Ses traits s’affaissent et ses cheveux blanchissent. La tendance générale est d’ailleurs à la décoloration, puisque les Détails ont totalement blanchis eux aussi. En 2008, Opalka atteint le stade du monochrome qu’il appelle le « blanc mérité », peignant ton sur ton des chiffres blanc de titane sur un fond blanc de zinc. Hommage bien sûr au Carré blanc sur fond blanc peint par Malevitch en 1918. Opalka devance l’horizon qu’il scrute depuis le début : la mort qui couronne le temps irréversible, inconnu absolu dont on ignore à jamais l’expérience. Le peintre décède en 2011, saisissant l’instant de sa mort au nombre 5 607 249.

Hélène Meisel

www.opalka1965.com