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Julien Grossmann

Né en 1983 à Metz (FR)
Vit et travaille entre Berlin (DE) et Rotterdam (NL)


The Alpine Pride

2011
3 magnétophones Nagra, 100 roulettes, bande magnétique, composition pour cor des Alpes
10 m de large
Acquisition: 2011


Une pointe d’ironie traverse le titre de The Alpine Pride, l’idée d’une Fierté alpine laissant simultanément imaginer la gravité de cimes hors du temps et le folklore de traditions hors d’usage. Sublime ou vernaculaire, Julien Grossmann ne résout pas l’ambiguïté, convoquant dans son installation sonore deux objets emblématiques de la « tradition suisse ». Avec le jodel et l’edelweiss, le premier figure au panthéon des mascottes nationales : c’est le cor des Alpes, instrument à vent creusé dans un tronc d’arbre naturellement évasé et coudé à la base, autrefois utilisé par les bergers des alpages pour rassembler et calmer leurs troupeaux. Rendu obsolète par des moyens de communication plus modernes, l’objet devient vite un trophée touristique désuet, redécouvert par la musique expérimentale folk des années 1970. Le deuxième objet appartient pour sa part aux fleurons de la technologie suisse d’après guerre. Il s’agit d’un enregistreur Nagra, marque mythique qui développa dès 1951 des magnétophones portables à bandes magnétiques, véritable révolution pour le reportage sonore et notamment pour les missions d’ethnomusicologie. Les trois Nagras de The Alpine Pride diffusent une suite d’harmoniques planantes jouées par des cors des Alpes, dont les résonnances sont amplifiées par la montagne. Avec une portée maximale de 8 km, le cor alpin déborde en effet la musique de chambre : au même titre que la corne de brume, c’est un signal fait pour de grands horizons. En retour, le paysage laisse également son empreinte acoustique, la vallée entière servant de chambre d’écho à la diffusion du son et à son enregistrement. Plutôt que de laisser la bande magnétique se dévider et s’enrouler sur les deux bobines plaquées au flanc des Nagras, l’artiste décide d’en extraire la boucle et d’en dévier le parcours, comme il l’a fait précédemment dans une installation où la pellicule vierge formait un labyrinthe octogonal. Guidée au mur par des dizaines de roulettes, la bande magnétique de The Alpine Pride dessine des ligne de crêtes qu’elle ne cesse de parcourir, muette, avant de rejoindre la tête de lecture de la machine. Les sommets, pics et cols ainsi décrits rejoignent formellement les oscillations de vibrations acoustiques – similarité qui en incita plus d’un à lire le paysage comme une partition 1. Enfin, ce jeu de correspondances s’achève à l’endroit même de l’inscription du signal sonore dont les fréquences sont traduites en empreintes analogiques. Cela vaut particulièrement pour la série des Fields of Recordings (2011), diptyques photographiques rapprochant les portraits de pionniers de l’enregistrement ethnographique avec des clichés de supports audio. Réalisés au microscope, ces derniers révèlent les sillons creusant des cylindres de cire et des disques vinyles, dont les surfaces accidentées s’avèrent véritablement lunaires. Avec une attention toute particulière pour les conditions de captation et de restitution, Julien Grossmann révèle les multiples champs d’inscription du sonore – spatial, acoustique, technique, culturel et historique –, ainsi que leurs influences et déterminations réciproques.

Hélène Meisel

1 Par exemple, Pierre Huyghe faisant réaliser par le compositeur Joshua Cody une partition instrumentale basée sur la topographie d’une île que l’artiste aurait découverte lors d’une expédition en Antarctique (A Journey that wasn’t, 2006).

www.juliengrossmann.com