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Hito Steyerl

Née en 1966 à Munich (DE). Vit et travaille à Berlin (DE)


November

2004
SD vidéo, couleur, sonore
durée: 25'
Acquisition: 2010


Hito Steyerl, artiste mais aussi réalisatrice et théoricienne allemande, mêle dans ses films des questionnements politiques en lien tant avec l’immigration et la globalisation qu’avec le féminisme et l’histoire. Ces sujets s’entremêlent et prennent alors la forme de documentaires teintés de fiction, à moins que la fiction ne soit elle-même devenue documentaire.
Hito Steyerl confie avoir été influencée par des artistes et réalisateurs tels qu’Harun Farocki et Werner Rainer Fassbinder, mais sa vidéo November (2004) aurait aisément sa place dans la lignée des films de Chris Marker et des théories politiques et cinématographiques développées par Jacques Rancière.
Chanson pop entraînante, musique asiatique traditionnelle ou air de western. Voix off de l’artiste, bruit d’hélicoptère ou de foule qui manifeste, la bande son de November d’Hito Steyerl s’avère être le reflet partiel de la construction formelle et conceptuelle du film. Le montage intercale images d’archives historiques et personnelles, extraits de films et sons d’influences diverses. Les narrations se juxtaposent et les mots interfèrent avec les images. Hito Steyerl nous raconte l’histoire d’Andrea Wolf, aussi nommée Ronahi, son amie d’enfance engagée dans la résistance kurde face à l’état turc et morte en 1998 pour la cause qu’elle défendait. Elle est devenue postmortem le symbole d’une résistance et d’un engagement total, le visage d’une martyre tuée par l’oppression. Son portrait, devenu image d’Épinal pour les kurdes, est diffusé sur des affiches et brandi sur des pancartes de manifestation.
La circulation des images dans les sphères politiques, sociales et médiatiques permet une diffusion de l’information et la conservation d’une mémoire mais peut aussi entraîner des déviances et manipulations idéologiques et communautaires. Dans November, les images sont référencées et ancrées dans une filiation cinématographique mais déhiérarchisées jusqu’à neutralisation. Andrea Wolf se bat comme un karatéka et enfourche sa moto en plein désert, comme un sheriff du Far West le ferait avec son cheval: fiction à l’esthétique brute filmée par l’artiste. Andrea Wolf passe à la télévision et parle au micro d’un journaliste sur la cause kurde: réalité médiatisée, enregistrée puis filmée par l’artiste. Faits et fictions brouillent notre lecture de l’un et l’autre, et Hito Steyerl ajoute une dimension autoréflexive à l’ensemble quand elle apparaît à l’écran, prise dans les trépas de sa propre narration mais aussi quand nous, regardeurs de November, ne voyons plus que la caméra de projection et sa lumière éblouissante. November, un titre sobre comme un écho sourd au lourd passé du mois d’octobre et de ses révolutions russes. Des mois sombres pendant lesquels des anonymes ont fait et défait l’actualité politique. L’histoire s’écrivit et s’écrit encore, construite sur quelque fantasme et amnésie.

Marie Frampier