retour

Nadia Myre

Née en 1974 à Montréal (CA)
Vit et travaille au Montréal (CA)


Portrait in Motion

2001
Vidéo couleur, sonore
durée : 2'21''
Acquisition: 2009


« Je me souviens »1

« C’est qu’être traître, c’est difficile, c’est créer. Il faut y perdre son identité, son visage. Il faut disparaître, devenir inconnu… »2

Synopsis : Un nouveau jour se lève aux chants des oiseaux sur une nappe de brume aérienne du sein de laquelle un canoë sourd. L’apparition attire un zoom investigateur. Le rameur gouverne calmement son véhicule sur le plan d’eau pour se rapprocher jusqu’à faire face à l’objectif, instant où Nadia Myre se fait reconnaître. Un dernier virage lui fait traverser l’image jusqu’à disparaître hors champ.
Une narration postcoloniale : l’artiste rejoue le paradigme du rendez-vous manqué avec l’Histoire et déjoue le stéréotype exotisé de l’autochtone. C’est « History/her story ».

Le brouillard joue son rôle : un aspect du chaos primitif où se brouille toute mémoire, une aura où projeter toutes les créations de nos imaginaires.

L’installation du film joue son rôle : vidéoprojection par l’arrière sur une plaque de verre encadrée dans la cimaise, dispositif d’exposition publique qui hante parfois les Musées de l’Homme et autres Histoires Naturelles.

L’artiste truque l’authenticité de la vidéo : un seul plan-séquence et un cadrage approximatif d’un horizon en pente du plan d’eau. Un jeu de réflexion sur le document par la réflexion du document. Elle mime un code documentaire ethnographique pionnier. Pour s’inscrire en faux. Pour inverser la perspective du point de vue. Pour effacer les frontières regardeurs/regardés, dominants/dominés, colonisateurs/colonisés…

Une lecture clé : la notion de « troisième œil » écrite par Fatimah Tobing Rony3, qui résume l’expérience consistant à regarder tout en étant soi-même regardé comme un Autre. Il déplace les ordres binaires (colonisateur/colonisé, etc.) sur un troisième plan pour rendre impossible toute naturalisation des différences, fondement même de la culture et de la pratique coloniales. Le troisième œil est ici celui de l’artiste.

Portrait in motion, non Autoportrait in motion : Nadia Myre joue son rôle, « l’unique apparition d’un lointain, aussi proche soit-il »4. Elle est une artiste Canadienne et Algonquin, autres/mêmes « pays natal »5. Son travail plastique met en œuvre un processus autoethnographique qui explore les réalités et les mythes d’une réinscription identitaire : schizophrénie entre individualisation d’un pathos, présence d’un être collectif-« algonquinité », représentation culturelle dans un Canada postcolonial6 et territoire de l’art contemporain.

Selon Joseph Kosuth, « l’anthropologue cherche à comprendre les autres cultures, l’artiste est au contraire celui qui « intériorise » l’activité culturelle de sa propre société. Aussi l’artiste comme anthropologue peut-il être capable d’accomplir ce que l’anthropologue a toujours échoué à faire » : rendre pleinement compte au présent, la faculté d’être en permanence contemporain. Le « Portrait in motion »7 du métisse post-moderne ?

Luc Jeand’heur

1 Devise officielle du Québec, Eugène-tienne Taché

2 Gilles Deleuze, Dialogues, 1977, avec Claire Parnet

3 Universitaire américaine et artiste contemporaine spécialisée dans la construction de représentations des « indigènes » non occidentaux au début du XXe siècle entre cinéma, culture populaire et ethnographie

4 Walter Benjamin

5 Aimé Césaire

6 Pris dans le sens où la condition coloniale persiste dans le monde global contemporain sous d’autres économies de moyens

7 Autre faux-semblant mais vrai accessoire de cinéma, le Canoë du film est une œuvre exemplaire de cette idée – History in Two Parts, 1999 – une sculpture de l’artiste performée pour l’occasion, littéralement de conception mi-traditionnelle Algonquin, mi-moderne aluminium, amalgame métaphore didactique du rapport totémique vernaculaire/véhiculaire qu’entretiennent au présent les indigènes en réserve