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Cecilia Vicuña

Née en 1948 à Santiago (CL)
Vit et travaille à New York (US)


Parti si Pasión, New York

1981
Photographies, quatre fichiers numériques
Dimensions variables
Acquisition: 2009


«Il faut cesser cette opposition entre visuel et oral, entre littérature et image, et surtout, entre sensible et intelligent. Ce sont des éléments qui sont arbitrairement dissociés.»0

Cecilia Vicuña n’est pas l’auteure de ces mots mais son œuvre a toujours cherché à les réaliser. Poète et artiste chilienne, elle mélange l’activisme politique avec la pratique esthétique expérimentale, concernant son propre pays dont elle est exilée depuis 1970 mais aussi ses terres d’accueil successives, notamment la ville de New York où elle est retournée aujourd’hui. Dès 1966, elle refuse les frontières entre les disciplines culturelles prenant le parti de situer son territoire artistique dans les interstices entre les arts.

La base de son travail est los precarios, poèmes visuels, économie de moyen artistique et «métaphores dans l’espace»*. Ce sont des petites sculptures, des installations ou des performances mettant en scène des objets trouvés, des résidus de l’environnement et de l’Histoire, des mots… Ils s’exposent en tous types de lieux dans un esprit de foi humaniste et d’authenticité de pensée. «Précaire est ce qui est obtenu par la prière, incertain, exposés à des risques, l’insécurité. Du Latin precarius, qui s’obtient par la prière.»*

Dans ce cadre de travail artistique, Cecilia Vicuña fait des photographies, pas de la Photographie. Parti Sí Pasion, New-York, 1981 fonctionne donc comme «aide-mémoire» de l’œuvre, la trace d’un geste destiné à l’effacement. «La Poésie habite certains endroits où les falaises1 n’ont besoin que d’un signal pour les faire vivre. Deux ou trois lignes, une marque, et le silence commence à parler.»* Seul document, elle se substitue à l’œuvre réelle achevée ce jour-là à New York en 1981 : «Parti Sí Pasion» écrit en majuscules peintes façon rupestre aux couleurs des drapeaux chilien et américain2 sur le macadam de l’autoroute qui mène au vertical World Trade Center, «ce point mythique où le monde est entièrement fabriqué par l’homme, et coïncide donc parfaitement avec les désirs de celui-ci (conclusion-fiction)»3.

«Parti Sí Pasion», traduisible par «Partager – Oui – la Passion» résulte de la dissection de «Participation», mot qui à Manhattan, tout comme «action», prend un sens autrement capitaliste. Cette pratique de déconstruction du langage produit un ensemble d’œuvres qu’elle nomme palabrarmas, traduisible par «armots», mot-valise de «armes» et «mots»4. «Leurs métaphores intestines sont ainsi exposées au regard, les gens peuvent voir alors les mots non pas comme seules abstractions mais comme quelque chose de très réel».*
Cecilia Vicuña confronte à Manhattan la force romantique de son precario, de sa prière à accepter de partager la Passion pour le monde, au sens de partager son Amour et au sens christique de partager sa Souffrance. Il se lit alors à travers «Parti Sí Pasion» la «Part maudite»5 de l’Art dont seul le partage entre tous crée ce point de sortie sur l’autoroute qui nous conduit droit à «l’arène où se joue le dernier acte du monde occidental»6.

«Le monde possède déjà le rêve d’un temps dont il doit maintenant posséder la conscience pour le vivre réellement. »+∞

Luc Jeand’heur

0 Joël Pommerat, Joëlle Gayot, Troubles, 2008

* Cecilia Vicuña

1 et quelles falaises à l’horizon, les tours jumelles du défunt World Trade Center !

2 « Parti » en blanc, « Sí » en bleu, « Pasion » est évidemment en rouge

3 Stéphane Allaire, notice pour Rem Koolhaas, FRAC Centre

4 autre exemple, « Sud America » est converti par l’artiste en « Sud Âme Rica », Riche Âme du Sud

5 Georges Bataille

6 Rem Koolhaas, New-York Délire, 1978

+∞ Guy-Ernest Debord, La société du spectacle, 1967