Née en 1977 à Um El-Fahem (PS)
Vit et travaille à Jérusalem (IL)
2007
Vidéo installation, couleur, sonores
durée : 17'00''
Acquisition: 2009
« Elle était toujours à demain par la pensée. »1
« Les guerres éclatent pour une partie
de dames. »2
premier œil
Il ne faut pas s’arrêter au premier abord de simplicité de Vacuum de Raeda Sa’adeh, installation en double vidéoprojection à angle droit où on regarde une femme passer/repasser l’aspirateur sur une montagne désertique (après la fin du monde ?).
Il y a dans la beauté des images le spectacle d’une idiotie surréaliste et dans l’ironie de la scène représentée, une théâtralité absurde du déplacement : la condition de femme exilée dans le cliché de la ménagère qui « prêche dans le désert » son existence, dans son coin.
dissonance
Le personnage qui vaque à cette occupation est incarné par Raeda Sa’adeh. C’est une jeune artiste de la performance, de la photographie, de la vidéo, née en Palestine, en 1977, vivant à Jérusalem qui mime le stéréotype de la condition de femme, par moment perdue dans le paysage comme dépassée par la présence du monde. Cette incorporation crée un processus de subjectivation qui déstabilise les frontières de représentation.
Le rapport entre dominant/dominé doit être repensé comme un rapport dynamique plus ouvert. La deuxième lecture s’avère une toute autre histoire.
body art
Raeda Sa’adeh travaille les questions transversales d’identité, notamment de la femme palestinienne, et sur le sens d’une occupation par le patriarcat local, par la tradition, par le colonisateur, par l’imagerie occidentale, en mettant son propre corps en œuvre comme économie de moyens. Son « My body is my art » se situe dans l’héritage des avant-gardes esthétiques des cultures populaires, minoritaires, contestataires des années 1970. La volonté féministe dans l’art se forge dans la chair, traversée par l’expérience et la contradiction, à l’extérieur et à l’intérieur des systèmes dominants. Une jeune artiste se positionne entre plusieurs mondes car elle s’exprime à partir d’un lieu qui est toujours une zone de frontière. Le corps est un territoire partagé entre l’artiste, l’œuvre, la femme, la Palestinienne, « le Tiers-Monde », la nouvelle génération, autant d’identités en coprésence.
une femme « occupée »
On assiste alors à un retournement de situation. La femme de Vacuum n’est plus du tout homeless, « étranger parmi des étrangers, dans une vie étrangère à toute espérance »3. Au contraire, les montagnes dépouillées de Jéricho sont intégrées à sa sphère domestique et de fait deviennent le « home-sweet-home » d’une femme de Palestine. Le paysage prend forme sous son action. Un geste ordinaire que l’on pensait vidé de sens devient un « acte héroïque de la vie quotidienne ». Par l’imaginaire.
non-dits
Raeda Sa’adeh met en abîme « a land without a people for a people without a land »4, slogan de propagande Sioniste associé à la refondation d’Israël qui réinvente la Palestine comme une terre inhabitée, vide (en anglais : « vacuum », mot mis en jeu dans le titre avec « vacuum cleaner »-aspirateur). L’installation se lit alors comme une référence directe au détournement de ce slogan par les Palestiniens « Palestine is not a land without a people for a people without a land ».
Luc Jeand’heur
1 : Don DeLillo, Body Art, 2001
2 : Oz, saison 1, épisode 8
3 : André Suarès
4 : « une terre sans un peuple pour un peuple sans terre »