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Joan Jonas

Née en 1936 à New York (US)
Vit et travaille à New York (US)


Good Night Good Morning

1976
Vidéo noir et blanc, sonore
durée : 11'38''
Acquisition: 2009


Voici une vidéo on ne peut plus basique et directe. Sur trois périodes distinctes, l’artiste Joan Jonas, pionnière de l’art vidéo et de la performance, s’est filmée tous les matins et tous les soirs, où s’adressant à la caméra, elle prononce juste « Good morning » (Bonjour) ou « Good night » (Bonne nuit), selon qu’elle se lève ou va se coucher. Une forme de journal intime déviante car sans narration. Lapidaire. Du reste de sa vie, du contexte, du hors champ, on ne saura rien. Un protocole absurde et répétitif comme une tentative de baliser le temps, mais aussi l’espace, puisque le cadrage et donc le décor alentour est chaque fois différent. Implacable chronologie personnelle et narcissique, qui pourrait fonctionner comme une sorte d’auto-radio-réveil.
Ce film, réalisé sans virtuosité, a une facture volontairement brute. Il utilise pratiquement et concrètement les vertus essentielles de la vidéo : enregistrer le temps qui passe. Principe d’(auto)surveillance. Un usage fonctionnel de ce médium alors nouveau qui rappelle les expérimentations de la belge Lili Dujourie à la même époque, fondées sur une sorte de voyeurisme désabusé. Avec une douce ironie dans sa volonté d’épuiser les possibilités de ce protocole arbitraire, Good Night Good Morning renvoie également aux vidéos répétitives et lancinantes de Bruce Nauman, ou à la célèbre répétition I’m making art (1971) de John Baldessari. Soit, pratiquer l’art comme on fait des exercices de gymnastique ou d’assouplissement : un rituel quotidien, hygiénique, routinier, au cœur la vie réelle. D’une façon générale, cette vidéo apparaît symptomatique d’un positionnement qui privilégie les intentions aux objets et la discipline au résultat. Une pratique de la performance essentiellement construite à partir d’un matériau de base appelé décision.
Mais ce faisant, le film est également une opportunité de jouer avec la vidéo en termes formels. Les plans apparemment anodins sont à chaque fois composés, comme des mini tableaux. L’artiste intervient au sein d’un cadrage choisi, jouant sur les obliques, les profondeurs de champs et les perspectives, et même parfois des confusions topographiques. Autant de tentatives d’épuisement des possibilités d’un médium. L’écran renversé sur le côté offre par ailleurs un format en hauteur qui cadre une série de portraits. Une fenêtre ouverte qui donne accès à un monde, celui de l’artiste elle-même. Pourtant s’agit-il vraiment d’une communication ? Ces salutations sont-elles réellement transitives ? S’adressant directement à la caméra, l’artiste l’utilise comme un miroir. Un motif très important chez elle, et présent dès ses premières performances (voir ses Mirror pieces de 1968). Thème lacanien de construction de soi par l’image inversée, le miroir (ici technologique) est dès lors l’occasion de jouer avec la question de l’identité (féminine), mais aussi de l’autosuggestion et de la réflexivité pathologique.
Artiste multimédia par excellence, Joan Jonas nous montre avec cette œuvre – simple dans ses procédés, complexe dans ses enjeux – les liens continus que nouaient les artistes de sa génération entre la performance (le corps, la décision), le concept (la notion d’identité, le caractère cyclique du temps) et la sculpture (l’espace), le tout connecté directement aux enjeux de représentations liés au développement du médium vidéo.

Guillaume Désanges