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Craigie Horsfield

Né en 1949 à Cambridge (GB)
Vit et travaille à Londres (GB)


The Score of the Second York Soundwork

1971
Mine de plomb, craie, crayon, encre de chine sur papier millimétré
76 x 54 cm
Acquisition: 2009


Ces feuilles de papier millimétré, marquées de signes subtils, constituent un cycle de dessins en même temps que la “partition graphique” pour une oeuvre sonore. Il ne s’agit pas, spécifiquement, de la partition d’une composition musicale. Ces dessins sont plutôt des éléments de la structuration de l’oeuvre sonore, qui existent comme forme à la fois visuelle et potentiellement fluide pouvant être conçue comme son. Fonctionnant par rapport aux différents courants de son époque, ce travail propose néanmoins de nouvelles et considérables possibilités de lecture, et peut être rapporté à l’histoire du son et de la partition graphique, aussi bien qu’au développement de l’oeuvre sonore de l’artiste. Cette oeuvre est réalisée dans les années 1960-70, au sein d’une pensée radicale sur l’art et sur la vie, dans un contexte d’évolution des modèles conceptuels et de la perméabilité naissante entre les mediums et les disciplines. Craigie Horsfield, qui connaissait le travail entrepris dans le domaine — alors marginal — de la notation graphique et l’histoire de celle-ci, adopte cependant une position nettement différente. Il s’inspire de ses prédécesseurs (de Kandinsky à l’artiste anglais Jack Smith) en matière de théorie sur le son et les phénomènes visuels, c’est pour poser les bases de ce qui, plus tard, serait reconnu comme « oeuvre sonore » (laquelle utilise la notation graphique, la composition non-répétitive, l’improvisation, le son « de récupération », l’installation, etc.), et travailler selon les principes collaboratifs et relationnels qui seront au coeur de son oeuvre dans les quarante années suivantes.

Les sept York Soundworks_, dont celle-ci est la deuxième, furent interprétées pour la première fois entre avril 1970 et octobre 1971 par de nombreux solistes et groupes de musiciens. Horsfield jouait de l’orgue (_Soundwork 1), des percussions et d’autres instruments, tout en manipulant une boucle sonore et diverses interventions enregistrées. Il interpréta également la partie narrative de Soundwork 3. Les cycles ultérieurs d’oeuvres sonores ont été présentés à maintes reprises (des installations de plus en plus longues, où l’artiste utilise son expérience de DJ dans les clubs et à la radio au cours des années 1970-80), notamment à Stuttgart, Bruxelles, à la Documenta 11, ainsi qu’à Paris, Lisbonne et Berlin. La dernière oeuvre sonore du cycle en cours (le huitième) a été
écrite pour 24 voix, enregistrée avec Reinier Rietveld, collaborateur de longue date de Horsfield, et sera présentée à Sydney en 2012. Une composition sonore multipiste fait
également partie intégrante des oeuvres filmiques sur quatre écrans montrées à Kassel, New York et Sydney.

Cet ensemble de dessins n’est pas le mode d’emploi, la formule ou le plan d’une oeuvre sonore, mais plutôt ce qui, pour une part, a permis aux performers de réfléchir ensemble, sur un terrain commun au son et au visuel. À l’inverse de nombreuses partitions graphiques, la notation de signes n’a pas ici pour but d’établir une équivalence. Ces signes se rapportent à une structure de pensée relationnelle, dont les grandes lignes furent présentées dans des conversations faisant partie intégrante des partitions. Le son et le silence sont mis, par l’artiste, en parallèle avec sa conception de l’ombre et de la lumière, non pas en termes de présence et d’absence, mais (d’une manière plus fluide) d’entropie et de devenir. La partition prend en charge (comme le fait toute l’oeuvre de Horsfield) les notions de pesanteur, d’intensité, de densité (la matérialité aussi bien que l’immatérialité du son), mais aussi les formes de la conversation à travers le temps…

(Il faut noter qu’à la fin des années 1960, Horsfield avait déjà fait de grands voyages en Afghanistan, en Inde et au Tibet, qu’il avait de très nombreux liens familiaux avec le sous-continent, et qu’il utilisait déjà, comme DJ, la world music, notamment indienne. Toutefois, l’influence de la musique indienne et de la philosophie orientale n’était pas aussi prédominante dans ses compositions qu’elle l’était, à l’époque, dans celles d’autres artistes.)

Les premières oeuvres sonores ont été accueillies avec perplexité par le public. Néanmoins, plusieurs caractéristiques de ces oeuvres sont largement acceptées à présent : par exemple, la conception du silence, d’une “architecture” des sons qui articule l’espace et d’une oeuvre de durée étendue ou l’idée que l’on habite la performance, le fait que l’attention au temps est un aspect déterminant de l’expérience de la composition, etc. Ce type de notation graphique n’en est pas moins une pratique relativement marginale, de nos jours encore. Il faut comprendre ces dessins, jusque dans leur modestie presque évanescente, à l’intérieur d’un ensemble complexe d’idées, de la même manière que les intensités du souffle (dans l’instrument), la nature fugace de la structure conceptuelle — où ces dessins prennent leur source et à laquelle ils se rapportent — constituent un matériau mis et remis en forme par l’attention des interprètes, des auditeurs et spectateurs.

Catherine de Zegher et Craigie Horsfield