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Boris Ondreicka

Né en 1969 en Slovaquie. Vit et travaille en Slovaquie


I am the wall

1999
Installation sonore. Mp3 sur cd
durée : 1'
Acquisition: 2007


Du point de vue de l’urbanisme, le mur détermine l’endroit d’une séparation entre la sphère publique et le domaine privé. Il délimite les zones et les usages d’un territoire, détermine les flux. Plus largement, on pourrait dire qu’il organise la syntaxe de la ville en hiérarchisant la carte, et qu’il impose alors un ordre urbain et social.

Dans le champ plus spécifique de l’art, le mur blanc annonce d’abord un passage, celui du monde des usages à celui de l’expérience esthétique. « L’objet », placé entre les cloisons du « white cube » se trouve propulsé dans un espace censément imperméable à la vitalité du monde. Le mur blanc c’est le neutre, l’élément qui couvre le bruit du réel.

De Robert Smithson à Brian O’Doherty en passant par les artistes de ce que l’on a nommé « la critique institutionnelle », nombre de plasticiens ou de théoriciens ont questionné l’espace de la monstration des œuvres, les normes de l’exposition et plus largement les mécanismes muséologiques.

C’est dans cette dynamique de pensée, et avec la conscience des codes du dispositif d’exposition, que l’artiste slovaque Boris Ondreicka développe son œuvre. La pièce I am the wall, tente à travers une forme épurée jusqu’à l’excès, de donner à voir (non sans humour) ce vocabulaire et cet élément d’organisation du pouvoir. Un mur donc, à partir duquel sort et pend un fil de casque audio posé à terre. Pas de dispositif visible, rien d’autre dans l’espace. Un mur, un fil, un casque. Une fois porté aux oreilles, une parole : « Je suis ce mur familier, celui qui te sépare de ton voisinage. Je suis ce mur oublié qui doit supporter des sanglots le soir et leurs éternelles disputes, de l’autre côté. Je te protège du froid, je te protège contre quiconque. Je délimite ton intimité. Et toi, tu me transperces, tu me colles ces fichues vis. Je suis ton mur fatigué. »

Un mur en personne, incarné, qui se lamente et qui dit le mal qu’il pense de l’indifférence dont il fait l’objet. Un élément architectural qui dit sa lassitude de séparer ou protéger le monde. Il faut signaler encore que dans l’espace d’exposition, le mur est aussi l’endroit de l’expression, le lieu du discours (il pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une archéologie spécifique). Ici l’œuvre de Boris Ondreicka joue alors de la métonymie, et ce qui porte la parole devient parole.

Il y a dans I am the wall un rapport à l’espace qui, par-delà la complainte diffusée par le casque, se joue dans la confrontation du corps du spectateur et de la surface blanche de la cloison. Le casque signifie l’adresse du message, un message que l’on dit dans l’oreille à chaque visiteur et qui appelle le vis-à-vis entre les corps architecturaux et organiques. C’est une chorégraphie du rien qui se danse, comme s’il fallait arrêter toute sorte de mouvement pour se reconnecter au monde, sortir de l’agitation pour revenir au réel. Face à un mur blanc le spectateur se regarde, il questionne sa position (au sens large) et envisage cette page vierge qui signale, autant qu’une résignation, un désir de créer.

Guillaume Mansart