Né en 1978 à New Haven (US)
Vit et travaille à New Haven et New York (US)
2006
Installation vidéos et archives documentaires.
Acquisition: 2007
Un des aspects majeurs de ma pratique artistique implique la présentation ou la transformation de médias ou objets trouvés. Un objet trouvé m’est une sorte de talisman dont je peux faire naître un récit. Je suis particulièrement attiré par les moments qui expriment le style et l’affect. Je considère ces gestes comme une opportunité d’extraire et de comprendre la politique inhérente à une chose. Si la culture est une expression organique du désir humain, l’affect est le moteur du culturel.
Le style et l’affect peuvent fonctionner comme édifices culturels, tout comme un mémorial représente un édifice politique. Traditionnellement, un mémorial signifie un moment où le pouvoir se déplace à l’intérieur d’une société. Soit il meurt avec un leader, soit il est revendiqué au cours du combat. Le mémorial fournit à la communauté un rappel visuel des valeurs et des idéaux politiques qui garantissent le pouvoir. Il s’adresse à celui qui a le pouvoir, et à celui qui en a été écarté.
Dans notre siècle, le film hollywoodien en est venu à tenir le rôle du mémorial traditionnel. Un événement historique qui, auparavant, était gravé dans la pierre, est plus efficacement, à présent, glorifié par le cinéma. Lorsqu’on évoque les événements de telle époque, ce sont souvent les scènes d’un film historique que l’on se remémore. En ce sens, non seulement Hollywood affecte la politique mais il peut façonner l’histoire.
Il m’a toujours semblé que la culture, à notre époque, était caractérisée par une admission sommaire du dissentiment. Il est devenu incroyablement difficile de créer une esthétique subversive qui ne soit pas immédiatement absorbée par les médias et utilisée à des fins commerciales. Par conséquent, pour faire bouger les choses, il faut emprunter les avenues commerciales bien tracées.
En janvier 2006, je suis tombé sur un scénario piraté écrit pour le film d’Oliver Stones, World Trade Center. Ce film de la Paramount en était à un stade peu avancé, et devait sortir en août 2006. J’ai décidé d’adapter des parties du script et de filmer ma propre version dans mon studio, avec des étudiants comédiens et des décors faits à la main. Bien qu’ayant un très petit budget, j’avais l’intention de devancer la sortie du film de la Paramount en présentant une vidéo gratuite sur mon site web. La version en ligne et à petit budget fonctionnait comme un défi ouvert aux millions d’Hollywood, et à son autorité présumée dans la représentation des événements du 11 septembre 2001. Il m’a semblé que l’utilisation d’Internet offrait une opportunité d’activisme public. D’une certaine manière, cette technologie peut démocratiser la narration d’une histoire.
En mars de la même année, j’ai chargé World Trade Center 2006 sur mon site web et sur le tout récent YouTube. J’ai utilisé l’espace public et Internet pour promouvoir la première de ma vidéo et pour créer une grande affiche du film, afin de faire de la publicité à mon site web, pointsofdeparture.net. En quelques mois, WTC2006 commença à prendre de l’importance sur de nombreux sites web très populaires. La vidéo devint le sujet de discussions en ligne, et de nombreux sites de films indépendants affichèrent le lien pour y accéder. Cet effet viral attira l’attention de la Paramount qui en était au début d’une campagne de 40 millions de dollars pour promouvoir son futur film.
Sans crier gare, la Paramount me fit un procès et divulgua immédiatement l’histoire sur les principales chaînes de télévision, sur Internet et dans la presse écrite, telle que l’_Associated Press_ ou Drudge Report. En quelques jours, la presse nationale, internationale et la télévision s’emparèrent de l’histoire. World Trade Center 2006 et le procès qu’on lui fit devinrent le thème d’innombrables blogs et chat-rooms. WTC2006 incitait à débattre du caractère politique de la représentation et de la propriété des événements historiques.
Dès que j’ai fini de réaliser World Trade Center 2006, j’ai compris que la signification du projet changerait immédiatement après la sortie du film de la Paramount. Quelques jours après l’annonce du procès, j’ai reçu des demandes d’interviews d’innombrables journaux et magazines internationaux. J’ai aussi commencé à recevoir un flot d’e-mails personnels venant du monde entier. Nombreux étaient ceux qui me soutenaient. D’autres voulaient seulement exprimer leurs opinions. En suivant les discussions sur les blogs et dans les chat-rooms, j’ai découvert que l’œuvre d’art, de nature populaire, était enfin rentrée dans l’arène publique à laquelle elle était destinée. Parti de l’adaptation d’un scénario, ce projet était finalement devenu une figure de notre culture visuelle.
Chris Moukarbel
01/02/08