Né en 1978 à Épernay (FR)
Vit et travaille à Paris (FR)
2008
Installation, ampoule UV, encre invisible
Dimensions variables
Acquisition: 2007
What is not visible is not invisible [Ce qui n’est pas visible n’est pas invisible] de Julien Discrit fonctionne en deux temps qui correspondent à deux états de l’œuvre. Dans le premier, la lampe infrarouge est éteinte et le lettrage (à l’encre invisible) ne peut pas être perçu. Dans le deuxième, la lampe est allumée et la phrase « What is not visible is not invisible » apparaît.
Si l’œuvre de J. Discrit est tributaire des statements de l’art conceptuel – ces énoncés écrits ou collés aux murs des espaces d’exposition -, l’artiste dépasse la quête de neutralité formelle des conceptuels des années 1970 en introduisant un phénomène visuel et temporel dans son installation. Les statements s’inscrivaient entre autre dans la polémique contre l’art « rétinien ». Or, les meilleurs artistes conceptuels ont très vite compris que leurs concepts s’enrichissaient de notre perception et que la forme neutre était une fiction. Même la typographie la plus banale a une histoire et une forme qui la chargent de signification.
Dès 1969, Stephen Kaltenbach exemplifie cette prise de conscience de manière paradoxale avec la pièce Art Works. Prenant la forme d’une plaque mémorielle, Art Works semble indiquer que l’œuvre d’art est morte mais déclare en même temps que l’art « fonctionne » (art works.). Avec cette mise en forme visuelle d’un texte, S. Kaltenbach reconnaît que nos yeux sont plus que de simples « canaux » par lesquels les formulations écrites des concepts doivent passer pour entrer dans notre tête. L’œuvre de J. Discrit est conceptuellement plus pure et plus théâtrale que celle de S. Kaltenbach, mais dans les deux cas le jeu entre la mise en forme du texte et sa signification est central. Chez J. Discrit, le visiteur déclenche la lumière par son arrivée. Contrairement au statement qui est statique et exemplifie parfaitement l’axiome de Lessing sur les arts plastiques comme arts de l’espace, What is not visible is not invisible relève clairement à la fois du temps et de l’espace.
Si le procédé est simple et ne diffère en rien de celui utilisé dans les chapelles (les lumières s’allument au passage d’un visiteur pour révéler les peintures), il existe néanmoins une différence essentielle: la lumière dans les chapelles est une condition de perception des œuvres. Autrement dit: l’œuvre apparaît uniquement lorsque la lumière s’allume. Chez J. Discrit, elle émerge d’une perception consécutive des deux états (lampe allumée/lampe éteinte). Au contraire de ce que l’on pourrait croire, l’œuvre n’est pas le lettrage au mur, voire même le « lettrage + la lampe ». L’œuvre est dans le passage de l’un à l’autre. Elle démontre visuellement ce qu’elle affirme verbalement.
En créant un paradoxe visuel apparent, l’artiste pointe cette confusion entre invisible et non-visible qui est tellement commune: si ce qui n’est pas visible n’est pas invisible, c’est qu’il peut être non-visible, à un instant t, pour une personne donnée.
Klaus Speidel