Né en 1938 à Appenzell (CH). Vit et travaille à Saint-Gall (CH) / Né en 1942 à Speicher (CH). Vit et travaille aux États-Unis
1975
série de sept photographies noir et blanc sur papier baryté
6x(41,5 x 54,5 cm) et 1x (41,5 x 118,5 cm)
Acquisition: 2006
Säntis und Bodensee (1975) est une installation in situ à la fois monumentale et légère. Une cinquantaine de gros ballons blancs gonflés à l’hydrogène sont suspendus au-dessus du Lac de Constance (en allemand Bodensee). Flottant dans les airs chacun à une hauteur soigneusement calculée, leur alignement dessine la silhouette de la montagne avoisinante, le Säntis. Ce dessin céleste est l’aboutissement d’un méticuleux travail d’analyses et de relevés topographiques, de schémas et de calculs, mais aussi de l’élaboration d’un système précis de lestage et d’amarrage des ballons. L’installation éphémère est d’ailleurs documentée par des photographies et schémas, qui montrent aussi bien le résultat que les étapes préparatoires. Peu à voir, donc, avec une démarche généralement offerte à l’accident, à l’imprévu et au dérapage, qui est la marque de fabrique de l’artiste suisse. Souvent, en effet, les procédés sculpturaux et performatifs de Roman Signer reposent sur l’instabilité, la chute, la fonte, l’évaporation ou l’écoulement, mais aussi la projection, l’explosion ou l’envol, etc. qui menacent les éléments assemblés… et parfois l’artiste lui-même. Pour ce faire, ses accessoires favoris sont une batterie d’objets banals : ventilateurs et hélicoptères radiocommandé pour la suspension et le vol ; bottes, bicyclettes, kayak, skis, camionnette pour le déplacement ; rampes, fusées et feux d’artifices pour la projection, etc. Ces objets se retrouvent associés dans des dispositifs improbables et dangereux, à mi-chemin entre expérience scientifique, bricolage au grand air et terrorisme poétique. Et quand une forme d’équilibre apparaît entre les choses, c’est pour mieux suggérer l’imminence d’un revirement, comme cette bougie allumée plantée sur un coussin rempli d’essence (Kissen mit Kerze, 1983). Jouant volontiers avec les éléments (eau, terre, air, feu) en mélangeant le naturel et l’artificiel, l’artiste assimile les conséquences implacables d’une pesanteur menaçante, mais « sans gravité », puisque l’issue s’apparente plus souvent à la farce qu’à l’accident. D’ailleurs, sa manière de documenter ses actions, dans son apparente simplicité, retrouve les fondements d’une certaine tradition de la comédie cinématographique, entre burlesque et slapstick : la métamorphose soudaine d’un dispositif à vue, le suspens, l’attente, la chute inévitable. Une branche de la performance tendance Tex Avery, explosive, absurde et jubilatoire.
En contraste, Säntis und Bodensee, est plutôt une œuvre de patience et de préméditation, essentiellement graphique. Transposition d’un volume et d’un relief en une ligne en pointillé, abstraite, qui délimite sur l’eau un mont imaginaire. Elle est ainsi, non sans humour, un acte démiurgique à l’échelle du paysage : superposition volontariste de deux motifs contradictoires, l’un liquide et plat, l’autre solide et accidenté. De manière idéaliste, Säntis und Bodensee dessine le relief d’une montagne faite d’air, impraticable et pourtant aussi tentante que l’est cette paire de ski flottante, munie de quatre brassards gonflables, une autre de ses œuvres (Ski, 2000). Les travaux de Signer incitent à un usage dangereux, dont l’impraticabilité souffle à l’imaginaire des pratiques fantasques : skier sur l’eau ou escalader des ballons. Pratiquant généralement une sorte de land-art loufoque et farceur, cette œuvre apparaît directement animée d’un souffle romantique, voire épique. Dessin ou dessein céleste ?
Guillaume Désanges