Née en 1928 à Bruxelles (BE)
Décédée en 2019 à Paris (FR)
2005
Installation vidéo, couleur, sonore
Dimensions variables
Acquisition: 2004
La réalisatrice Agnès Varda a conçu peu de films destinés à être diffusés dans le milieu de l’art. Les Veuves de Noirmoutier est l’une de ses premières tentatives, contemporaine à son installation Patates Cœurs, dérivée de son documentaire à succès
Les Glaneurs et la glaneuse. Composé de 15 films tournés sur l’île de Noirmoutier, ce mur de moniteurs dessine une constellation de portraits autour d’un écran principal, plus grand. Silencieux, ce film central est hanté de noires silhouettes de femmes, qui tournent en rond sur une plage. Au centre de ce chœur muet, qui évoque un défilé de Parques, une table, nue. Elle vient rappeler les repas en famille de jadis, et la fin d’un temps. Car ces femmes sont des veuves, toutes. Chacune prend la parole dans les quatorze films qui forment les alentours de cette image. Au visiteur de choisir s’il désire, ou pas, se saisir d’un casque pour écouter leurs courts témoignages. «Ces portraits sont muets, explique Agnès Varda, parce que la société n’entend pas ces veuves. C’est ce qui a motivé ce travail. Le manque est un grand sujet dans notre société»1, analyse la réalisatrice qui a souvent mis en scène son obsession de la mort depuis son film Cléo de 5 à 7, réalisé en 1961. Soumises à la solitude, ces femmes racontent le manque, le souvenir de l’autre, de manière simple et concrète, dans des témoignages soutenus de quelques images à peine: ici une photo de mariage, là un tableau dans le salon, ou un bateau dans le port. Elles disent combien le lit est froid, très froid désormais, ou pourquoi elles n’y prendront jamais la place occupée autrefois par le défunt.
Une autre, jeune, se sent «amputée : je fais couple avec un mort, ce qui n’est pas banal». Discrètement, Varda insiste sur «leurs beaux mots»: «On se sent vivre en moitié», entend-t-on. Elle aussi est là, incluse dans cette frise de quatorze portraits : elle est là, veuve du réalisateur Jacques Demy dont une image furtive apparaît parfois ; mais elle ne parle pas. «Je pense que l’auteur documentariste doit faire partie du sujet, plaide-t-elle. Dans les Glâneurs, je partageais ainsi la précarité des personnages, par ma vieillesse.»2 Agnès Varda a toujours considéré ainsi la forme documentaire comme un questionnement subjectif, refusant toute distance entre l’auteur et son sujet. En témoignent ses documentaires comme Mur, Murs (1982) ou ses portraits biographiques, de Jane B par Agnès V (1987) à Jacquot de Nantes (1990). Arrivée tardivement sur la scène de l’art, en 2003, celle qui fut pionnière du mouvement des femmes vers la réalisation a suivi un cheminement similaire à celui parcouru par la réalisatrice Chantal Akerman. Si elle ne déploie pas ses documentaires dans l’espace, comme le fait sa consœur, elle a trouvé comme elle dans l’installation vidéo une nouvelle approche possible de l’image et de la narration ; une manière, aussi, d’échapper à l’autoritarisme du montage. Jouant du contraste entre espace clos et espace vaste de l’océan, elle offre avec Les Veuves de Noirmoutier une nouvelle modalité de surgissement de la parole et une nouvelle position au spectateur, invité à faire intervenir davantage son libre-arbitre et à choisir sa distance au sujet.
Emmanuelle Lequeux
1 In entretien d’Agnès Varda avec Frédéric Bonnaud, dans l’émission «Charivari», France Inter, 1er juillet 2004.
2 Idem.