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Peter Fischli & David Weiss

Né en 1952 à Zurich (CH) où il vit et travaille /
Né en 1946, mort en 2012 à Zurich (CH)


Kanalvideo

1992
Vidéo, couleur, non sonore
Durée : 60'
Acquisition: 1996


Kanalvideo est un matériau trouvé, une sorte de readymade cinématographique. Fournie par le service de voirie de Zurich à la demande de Peter Fischli & David Weiss, la bande vidéo est constituée d’une heure de travelling avant d’une caméra télécommandée dans une canalisation d’égout, afin d’en vérifier la salubrité.

Fischli & Weiss ont par ailleurs réalisé depuis lors d’autres vidéos, sous forme de reportages, sur le nettoyage des égouts (Cleaning the Sewage System_), ou la construction d’un tunnel (_Construction Workers in the Vereina Tunnel). Cet intérêt marqué pour les espaces souterrains, pour le caché, le dessous, le refoulé de la cité et de la communauté des hommes, va de pair chez ces deux artistes suisses avec une inscription dans une mythologie locale: la réputation de propreté de leur pays est ici exacerbée et tournée en dérision. Un des fils directeurs de l’œuvre polymorphe de Fischli & Weiss pourrait être une quête du merveilleux au cœur de ce qu’il y a de plus insignifiant a priori, au travers d’un double mouvement de foi en une transcendance métaphysique du quotidien, et de dérision de cette croyance en redoublant de trivialité et de grotesque. Munis de ce plan-séquence subterrestre, Fischli & Weiss retravaillent la bande en post-production, ajoutant par intermittences sur les images des trames colorées, qui semblent émaner du boyau même: la lumière passe du blanc laiteux au rouge profond, à l’obscurité presque totale… Seuls les joints de la canalisation rythment cette progression ininterrompue, ce temps qui défile de façon si monotone qu’il tend vers un point d’inertie hypnotique. Par le biais de cette manipulation, l’inepte banalité de la bande se transfigure en image hallucinogène, quasisurnaturelle, en aspiration cosmique dans un espace sans mesure, où les repères spatiaux et temporels, le haut et le bas, l’infiniment petit et l’infiniment grand se confondent : une expérience d’antigravité, d’apesanteur.
Certains passages non retravaillés laissent apparaître des détails qui font renouer le spectateur avec la réalité : des moisissures sur les parois, un filet d’eau qui s’écoule. On se doute rapidement que nul événement ne viendra troubler cette imperturbable exploration de l’intestin urbain.
Lorsqu’un papier gras traverse le champ au bout de vingt minutes, ou a fortiori quand deux rats apparaissent et s’enfuient dans l’obscurité, ils deviennent événements d’une pure incongruité, aux limites de l’absurde.
Avec Kanalvideo, Fischli & Weiss construisent un mouvement du réel vers l’onirique, du reconnaissable vers l’inconnu : une métaphore du voyage initiatique, du labyrinthe comme progression continue vers une possible illumination. Ils interrogent les processus de vision et de connaissance, la puissance de fascination des images sur le spectateur, qui doit abandonner toute velléité spéculative pour se laisser hypnotiser par le réel.

François Piron