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Su-Mei Tse

Née en 1973 à Luxembourg (LU)
Vit et travaille à Luxembourg (LU)


La Marionnette

1999
Vidéo, couleur, sonore
Durée : 1'44"
Acquisition: 2003


Au-delà d’une formation de haut niveau en violoncelle, c’est peut-être le creuset culturel dans lequel a baigné Su-Mei Tse (née dans la cosmopolite Luxembourg d’un couple sino-britannique) qui préside au choix de l’artiste de se confronter, en tant que plasticienne, à la question du langage universel que représente la musique. C’est en effet le motif musical, dans tous ses aspects métaphoriques, qui draine toute l’œuvre, travail élégant et précis déployé en films, photographies, performances, sculptures et installations. Des balayeurs parisiens incrustés dans un désert africain artificiel, dont les mouvements rythmés renvoient aux «balais» de batterie, un casque audio formé de deux gros coquillages, un sablier tournoyant sur un disque à moteur : autant d’échos visuels inspirés de paradigmes sonores. Temporalité. Flux. Rythme. Mesures. Compositions.
Mais ces représentations, loin d’être idéalistes, viennent contredire l’image de pureté et d’harmonie souvent accolée au plus abstrait des arts. Dans La Marionnette (2002, vidéo en boucle), par exemple, l’artiste, dont les membres sont reliés à des fils, joue frénétiquement du violoncelle. Ce faisant, elle incarne l’allégorie classique du corps marionnettique, morte mécanique soumise à un manipulateur invisible mais dominant, comme figure tragique de la condition humaine. Si le découpage saccadé, l’exagération dans les gestes et la répétition infinie des plans donnent un ton vaguement burlesque à la scène, le bruit dissonant qui en résulte fait plutôt montre d’une certaine violence à l’œuvre. Comme si l’interprète musical, comme nul autre prisonnier des conventions de sa pratique, représentait le modèle par excellence de la soumission physique au langage universel de l’art. Un reflet grimaçant et grinçant de l’idéal eurythmique de la grande musique. Car, de fait, il n’est rien de moins naturel que l’apprentissage et la pratique d’un instrument, et ses exigences ont un prix. Intrinsèquement la musique libère l’âme mais dompte, blesse, meurtrit le corps. Le son ne naît-il d’ailleurs pas toujours d’un choc violent répercuté dans l’espace ? Cordes frottées. Frappées. Pincées. Accords «plaqués». Dans une même perspective défaillante, l’étrange vidéo
Das Wohltemperierte Klavier (2001), montre des doigts affublés d’attelles courant sur un clavier de piano. L’apposition de ces prothèses qui renvoient au handicap, à l’empêchement, à l’impossibilité d’un contact direct, rend plus émouvantes encore l’opiniâtreté et la volonté de continuer à jouer, survivance d’une nécessité de communiquer malgré la douleur. Sans trop appuyer ni forcer les traits, mais par un cadrage bien précis sur des situations simples, Su-Mei Tse questionne plus universellement la notion de contraste voire plutôt, de manière douce, de désaccord. Comme avec son mélange proposé aux visiteurs de trois thés d’origines différentes ou son installation de deux diapasons aux fréquences distinctes, l’artiste travaille une identité harmonique à trouver entre des éléments organiques, matériels et culturels radicalement inassimilables.

Guillaume Désanges