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Pierrick Sorin

Né en 1960 à Nantes (FR)
Vit et travaille à Nantes (FR)


Je me regarde le sorin

1994
Bois, panneaux, caméra vidéo, moniteurs, magnétoscopes VHS, casque
Dimensions variables
Acquisition: 1994


Participant à cet esprit critique et acerbe de l’art des années 1980 (Sherman, Wegman, Gilbert et George…) qui use du détournement et du ridicule des stéréotypes, de l’échec et de l’impossibilité de toute énonciation, Sorin sonde ses gestes quotidiens, ses obsessions solitaires, sa mémoire perdue, en utilisant sa personne en situation dans des saynètes grotesques souvent ironiques et dérangeantes qui traitent, à la manière du cinéma burlesque de Méliès et de Keaton ou de Tex Avery et des spectacles déformants du cinéma forain de la fin du XIXe siècle, de la dégénérescence et de l’échec d’une inscription sociale.
Pour cela, il construit de petits films, d’abord en super 8 puis en vidéo à partir de 1989 dans lesquels l’image fragmentée et sa répétition obsédante, piègent des moments autobiographiques (Le réveil_, 1988 ), des désirs enfouis (C’est mignon tout ça, 1993), des impasses existentielles (J’ai même gardé mes chaussons pour aller à la boulangerie, 1993), dans une relation voyeuriste toujours inassumée car différée avec ce public intime qu’il s’agit d’attirer comme s’il était impossible de rester seul avec l’autre en soi. Acteur et spectateur pathétique et grimaçant d’une inertie empêtrée dans l’inachevé et toujours perturbée, l’artiste utilise le style de la performance et sa qualité documentaire en rejetant ses aspects sacrificiels, héroïques et sociaux (Fluxus, Beuys, Burden, Nauman…) dans la distance brisée de la communication contemporaine (voix off, explications timides et monocordes, excuses, enregistrements, boîtes…).
Même lorsqu’il sort de son univers renfermé pour investir l’espace d’exposition (_La belle peinture est derrière nous
, 1989, Peinture et hygiène, 1992, Je me regarde le Sorin, 1993), son adresse au spectateur devenu objet et sujet est marquée par la gêne et l’agressivité : rien n’est à sa place. Déplacé, décalé, le spectacle se trouvant derrière et le voyeur en faute devant la boîte, Je me regarde le Sorin rejette toute intrusion extérieure et se défend du trouble dû à la perte d’expressivité du réel et de l’art. Virtuose de la synchronisation vidéo et de sa fragmentation, Sorin traite le corps comme un alter ego dérangeant (Jean-Loup) avec lequel toute relation aboutit inéluctablement à une rupture et une incompréhension. En abyme, ces histoires énoncent l’angoisse, l’intolérance, la fracture sociale d’un monde qui a perdu une bonne part de ses idéologies.

Maïté Vissault