Née en 1942 à Paris (FR)
Vit et travaille à Paris (FR)
2005
Impression numérique sur bâche tendue
15 x 30 m
Acquisition: 2001
Celui qui voit comprendra.
Réservée à quelques spectateurs puisqu’elle n’est visible que depuis le haut de la tour pigeonnier du bâtiment, cette pièce monumentale est à l’échelle du paysage. Elle vient s’inscrire sur un grand mur aveugle au fond d’un espace abandonné. De quelque trente mètres par quinze, elle s’inscrit comme le premier plan d’un décor à la dimension de la ville : au loin, des bâtiments, la cathédrale, quelques usines et encore plus loin les collines. L’écriture noire et blanche produit son effet, elle rompt avec la couleur jaunâtre de la pierre locale. Elle tranche du fait de sa dimension : de longues lettres effilées comme des couteaux, elle tranche enfin et surtout par sa signification.
Dans la continuité de la pièce NI1 dont le Frac Lorraine a acquis les droits, Tania Mouraud lance un cri de révolte. Ce cri provient de l’opéra de Schœnberg Un survivant de Varsovie, dans lequel le narrateur raconte en anglais l’invasion du ghetto par les SS.
«Les textes sont inscrits d’une telle façon qu’ils sembleraient des motifs décoratifs. Les lettres sont extrêmement allongées. Il faut du temps pour lire le texte. Je travaille pour les spectateur-e-s qui prennent le temps de découvrir et de comprendre.»2
Tania Mouraud touche au paradoxe subversif du langage. Si peu compréhensible à première vue, l’œuvre incite bien innocemment à déchiffrer. À celui qui s’en donne la peine, le sens saute à la figure. «Comment pouvez-vous dormir ?» sonne comme une injonction générale face à nos aveuglements volontaires.
«La trace que la langue doit transcrire à partir de l’intémoigné n’est pas la parole de celui-ci. C’est la parole de la langue, celle qui naît quand le verbe n’est plus au commencement.»3 Tania Mouraud n’a cessé de repenser l’acte pictural en intégrant sur un mode conceptuel, le langage comme support d’interrogation de la perception de l’espace. Ses wall paintings en forme de déclarations et de prises de positions sont toujours pensées en fonction du lieu et questionnent l’acte de voir.
Tania Mouraud détourne le décoratif. Il devient engagement.
«Faire art» signifie pour elle conjuguer une expérience sensorielle et perceptive tout en se positionnant face aux réalités du monde.
Béatrice Josse
1 City performance n° 1, 1977-1978, installation urbaine, affiche sérigraphiée, 400 × 300cm.
2 Tania Mouraud, in Arnauld Pierre, Tania Mouraud, Flammarion, La création contemporaine, Paris, 2004.
3 Giorgio Agamben, Ce qui reste d’Auschwitz, Payot et Rivages, Paris, 1998.