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Annette Messager

Née en 1943 à Berck-sur-Mer(FR)
Vit et travaille à Malakoff (FR)


Ma collection de proverbes

1974
Tissus brodés
30 éléments, 35 x 28 cm chaque
Acquisition: 2000


Ma collection de proverbes consiste en une anthologie d’idées reçues sur la femme, brodées à la main par l’artiste sur des pièces de coton blanc. «Quand la fille naît, même les murs pleurent», peut-on y lire ; ou encore : «c’est la femme qui a fait pousser les cheveux blancs du diable». Avec malice, Annette Messager s’immisce avec cette œuvre proliférante dans le géométrisme et la quête de pureté du minimalisme, en épinglant littéralement ces «carrés blancs» qui dominent l’esthétique d’alors. Non sans espièglerie, elle les charge de la sottise du monde, mettant à l’étal ce que l’inconscient collectif a de plus phallocrate. Tout au long de son parcours, Annette Messager déclinera ainsi le cliché ; sans le dénoncer, elle pousse à bout sa mise en circulation et ses variations. Sans poser de jugement, elle renvoie le spectateur à ses propres contradictions. Ce qui explique en partie pourquoi la pièce a été accueillie à sa création en 1974 avec beaucoup de perplexité. Se posant la question du féminin sans s’engager dans le féminisme, elle met en avant, comme par provocation, un art populaire méprisé : la broderie. «Geste à la fois vengeur et masochiste», écrit Catherine Grenier. En s’appropriant parodiquement cette technique artisanale, Annette Messager détourne le signe d’une soumission à une condition dévalorisée, et en souligne la forme de beauté. Elle s’interroge, aussi, sur les frontières de l’art, comme elle les interroge, notamment en employant des matériaux pauvres : peluches ou morceaux de tissus, autant de textures triviales qui traversent son œuvre, jusqu’à aujourd’hui.Cette série fait partie des nombreuses Collections rassemblées au début des années 1970 par l’artiste, qui se plait alors à décomposer sa production en cycles, portés chacun par un personnage qu’elle s’invente en une déclinaison schizophrénique : appartenant au cycle «Annette Messager collectionneuse», développé en parallèle à celui «d’artiste», les Proverbes côtoient ainsi un ensemble de 56 albums regroupant annonces matrimoniales, coupures de presse (Les Hommes que j’aime/j’aime pas_), photos (Les enfants aux yeux rayés), images de magazines, signatures ou tests de Rorschach. Litanie brodée, elle annonce également le cycle à venir, celui de la «femme pratique», où Annette Messager se concentre sur des tâches manuelles ordinaires (_Mes travaux d’aiguille, Quand je fais des travaux comme les hommes). Présentés ensemble, ces tableautins envahissent le mur et semblent pouvoir proliférer à l’infini. Réalisés la même année que sa première exposition à l’ARC, où l’artiste présente ces oiseaux morts et Pensionnaires qui l’ont fait connaître, ils participent de sa révolution de l’accrochage classique, qui la pousse notamment à présenter ses Collections dans de longues vitrines sur pied, semblables à celles des musées ethnologiques. «On montre mieux les choses en les déplaçant et en les ordonnant comme dans un cabinet de curiosités», déclare-t-elle1. Investissant et détournant le vocabulaire de la classification, l’image démultipliée, hystérique, s’impose au musée. Ouvrage de dame, et ouvrage d’art.

Emmanuelle Lequeux

1 In conversation avec l’auteur, mai 2005, non publiée.