Né en 1970 à Conflans-Sainte-Honorine (FR)
Vit et travaille à Berlin (DE) et à Paris (FR)
1994
Patron, chevilles de couleur
Dimensions variables
Acquisition: 1999
Le mur de chevilles s’étend sur la totalité de la surface d’un mur de l’espace d’exposition. L’œuvre est réalisée selon un principe défini par l’artiste : apposer sur un mur blanc un coupon de 60 par 60 cm délimitant les emplacements des trous à pratiquer, se munir des chevilles correspondantes, de sections et de couleurs différentes – une section correspondant à une couleur – et d’une perceuse pour pratiquer les trous. On reproduira à loisir le patron, et l’on répétera le geste, patiemment, pour cribler le mur de chevilles.
La référence aux Wall Drawings de Sol LeWitt est assez immédiate. La pièce est réalisable à partir d’une notice, les dimensions et la forme physique finale dépendant étroitement du lieu choisi pour l’œuvre. Cette œuvre «peut être réalisée», comme elle pourrait ne pas l’être, rejoignant ainsi les Statements de Lawrence Weiner. Les préoccupations esthétiques ne sont pas absentes : l’attention est portée à une régularité dans l’apposition du coupon, les couleurs vives et les sections variées des chevilles venant certifier l’intention décorative. Le mur blanc, autre contrainte définie par Mathieu Mercier, vient nous assurer de cet objectif: la myriade de points ainsi activée ne se laissera pas dominer par la concurrence éventuelle d’un motif ou d’une couleur préexistante. Le mur de chevilles est éminemment pragmatique : la cheville est un objet utile, et plus particulièrement pour l’accrochage d’une œuvre ou d’un objet quelconque. Le mur est désigné comme étant une œuvre, mais, semble en attente, fixé dans l’état intermédiaire de l’accrochage : ce mur, outre sa dimension décorative, attire notre attention sur sa possible fonction, dans le cadre de la présentation d’œuvres ou de tout autre élément. En ce sens, elle nie toute autosuffisance, comme en attente de l’œuvre véritable, la possibilité d’accrocher des pièces étant laissée à l’initiative du propriétaire.
La pratique humble du bricolage et de l’aménagement intérieur, doublée d’une référence directe à l’environnement dans lequel l’artiste se situe, le monde de l’art et ses références, est une caractéristique du travail de Mathieu Mercier. Comme pour d’autres œuvres, la dimension utilitaire, l’esprit du «faites-le vous-même» et sa possible reproduction (le mur de chevilles pouvant être présenté simultanément dans plusieurs endroits) s’opposent aux catégories longtemps convoquées pour définir l’œuvre d’art. Ces données renvoient aux pratiques domestiques et à la décoration appliquée au plus grand nombre, et intègrent les mécanismes de production et de consommation industrielle au champ artistique.
Ce Mur de chevilles, au-delà de l’ambiguïté qu’il introduit entre fonction utilitaire et fonction esthétique, critique discrètement les conditions de la vie contemporaine, à mi-chemin entre travail et loisirs, oscillant entre un légitime désir de singularité et l’implacable standardisation qui menace nos intérieurs. Le parallèle établi avec les conventions et pratiques de l’art contemporain ne fait qu’en amplifier la portée.
Corinne Charpentier