Née en 1969 à Paris (FR)
Vit et travaille à Londres (GB)
2001-2003
Photographie couleur, tirage numérique
180 x 300 cm
Acquisition: 2004
Towards Tomorrow (International Date Line, Alaska) # 1 et 2, de Marine Hugonnier, sont deux imposantes photographies. Elles sont d’abord un paysage, un cliché, soleil couchant sous l’horizon d’une mer calme, ciel bas et nuageux. 180 cm par 300 cm, la ligne de flottaison lointaine sur laquelle s’écrase doucement le soleil s’étire suffisamment pour que le regard puisse s’y perdre, être dans le paysage. Une lumière jaune irradie l’espace de la photographie, sa source encore visible sur la première image a disparu sur la seconde, semblant affirmer la durée dans la série. Bien que d’une flagrante beauté, l’œuvre se détache de cette tradition des impressions naissantes au soleil levant, couleurs et sentiments… Le sujet est le même mais le contenu diffère. Le titre nous emmène vers un ailleurs, «Alaska», «en direction de demain». Le travail de Marine Hugonnier avoue un penchant pour les paysages, les faits naturels, et c’est au détroit de Béring, en regardant la Sibérie depuis l’Alaska, qu’elle saisit ce soleil crépusculaire. Le lieu est l’acteur principal et silencieux de l’image, il détermine sa lecture. L’International Date Line est décidée en 1884 par une convention internationale. Le globe est divisé en fuseaux horaires et cette frontière maritime qui sépare la Russie des États-Unis devient une sorte d’espace irréel, décalant de 24 heures les deux territoires contigus. Capturant le coucher de soleil par-delà cette ligne, l’artiste photographie donc le jour à venir. Elle joue le jeu des conventions et parvient ainsi à réaliser cette utopie du voyage dans le temps, proposant une vision du futur insolite et décomplexée. Par cet acte, Marine Hugonnier renverse d’abord les certitudes d’un médium car, «dans la photographie, écrit Roland Barthes, il y a une double position conjointe : de réalité et de passé. Et puisque cette contrainte n’existe que pour elle, on doit la tenir […] pour l’essence même, le noème de la photographie.»1 Tournée vers demain, l’œuvre contredit son principe même. Mais, au-delà du seul support photographique, Towards Tomorrow insiste surtout sur cette conception humaine d’un temps universel qui s’écrit contre nature. Demain est-il déjà là ? Ou, le futur n’existe-t-il pas ? L’avenir est improbable, la flèche du temps, déboussolée, a perdu le nord du futur pour celui de l’instant. À cet endroit précis du globe, la pensée
«fonctionnelle» paraît l’avoir emporté sur un imaginaire en faillite. Les photographies interrogent évidemment la conception universelle du temps. Le «temps homogène», cette notion commune, scientifique et sociale, devient obsolète et la perception intime de la «durée», telle qu’a pu la penser Bergson, apparaît tout aussi caduque. L’expérience phénoménologique du monde s’éclipse derrière ce qui semble être un pragmatisme triomphant. À travers cette mise en question spécifique, l’artiste indexe plus généralement la disparition progressive de l’idée même de réalité. Pour Baudrillard, la volonté technique et scientifique de perfectibilité, d’achèvement et d’accomplissement du monde substitue la vérité à l’illusion et participe ainsi à la dissolution du réel. Les photographies de Marine Hugonnier tendent à mettre au jour cette inéluctable désintégration du monde par le fait rationnel. L’artiste questionne notre appréhension de l’univers, et écrit la célèbre formule de Baudrillard comme ce qui pourrait être un commentaire de son œuvre : «Le réel ne disparaît pas dans l’illusion, c’est l’illusion qui disparaît dans la réalité intégrale.»2
Guillaume Mansart
1 Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie, l’Étoile, Gallimard Seuil, Paris, 1980.
2 Jean Baudrillard, Le crime parfait, Galilée, Paris, 1995.