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Thomas Hirschhorn

Né en 1957 à Berne (CH)
Vit et travaille à Paris (FR)


Thank you

1995
Vidéo, couleur, sonore
Durée : 8'20''
Acquisition: 1997


«Mes vidéos sont ennuyeuses, répétitives, trop longues. […] Je veux faire quelque chose de si simple que ça devient ennuyeux. […] Je pense qu’en effet, la simplicité est ennuyeuse, ou plutôt est perçue comme ennuyeuse. Car moi ça ne m’ennuie pas. Mais en effet je ne m’ennuie jamais, peut-être parce que je n’attends rien», écrit Thomas Hirschhorn dans l’un de ses textes. Les vidéos qu’il réalise sont, pour la majeure partie d’entre elles, intégrées à ses sculptures, ajoutant de nouveaux stimuli visuels et sonores aux dispositifs surchargés de l’artiste ; certaines d’entre elles peuvent néanmoins se désolidariser et exister pour elles-mêmes. Comme l’écrit Hirschhorn, toutes les vidéos obéissent aux mêmes principes : «Je décide très clairement: aucune coupure, son original, durée déterminée par quelque chose d’extérieur, mouvement de la caméra limite total, pas de zoom, etc.» Devant un panneau vert uni sur lequel sont inscrits les mots «Thank you», alors qu’un morceau de musique rock s’élève en fond sonore, Thomas Hirschhorn, torse nu et tenant près de son visage l’un de ses collages sur carton d’emballage, se donne des claques à un rythme rapide et régulier. À la fin de la chanson, Hirschhorn déplace son collage de l’autre côté de son visage et, tandis que la même musique reprend, il reprend ses claques sur l’autre joue. Lorsque, de nouveau, la musique s’achève, il se lève et sort du cadre.
Comme toutes les œuvres de Thomas Hirschhorn, les vidéos sont réalisées avec une extrême simplicité de moyens : il n’y a pas chez lui de volonté de
«faire une image» (elle est d’ailleurs de très mauvaise qualité, le collage est illisible), mais c’est le signe performatif qui importe. La musique est présente à simple titre de fond sonore, le décor est rudimentaire : les éléments constitutifs de la vidéo circonscrivent l’action, focalisent l’attention vers cette action en tant que signe symbolique, et non en termes de narration. L’image de l’artiste s’infligeant des gifles renvoie à une interrogation concernant son statut. Il ne s’agit pas d’une exploration des limites de la souffrance, de l’endurance du corps ; il s’agit moins d’une catharsis que d’une illustration, d’une démonstration que le rôle de l’artiste est de résister à l’intelligence de la société libérale, par la bêtise et l’absurdité.
«Nous ne serons jamais plus malins que le
capital», dit Hirschhorn. «Je ne veux être ni intelligent ni habile. Mais je veux néanmoins travailler. Je veux être productif. Ma position n’est pas une parodie.»1
Si l’artiste se revendique «artiste-travailleur-soldat», il ne fait toutefois pas l’économie du doute, et remet fréquemment certaines parties de son travail en question, écrivant des autocritiques et progressant par corrections successives. Non sans humour, ces gifles pourraient signifier ce droit à l’erreur de l’artiste et sa volonté de responsabilisation, d’amélioration.

François Piron

1 In entretien avec Alison Gingeras, «Thomas Hirschhorn, grâce à la bêtise!», art press, Paris, n° 239, oct. 1998.