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Neal Beggs

Né en 1959 à Larne, Irlande du Nord (GB)
Vit et travaille à La Varenne (FR)


The Helvetic System

2006-2008
78 cartes topographiques peintes
57 x 78 cm chacune
Acquisition: 2005


The Helvetic System est un ensemble de cartes topographiques à l’échelle 1/50 000 qui, rassemblées, représentent la totalité du territoire helvétique. Chacune d’entre elles est entièrement recouverte d’une peinture
noire sur laquelle apparaît une myriade de points blancs qui indexent avec précision les sommets suisses. La disparition de toutes les informations annexes (perdues sous l’aplat de couleur) ne laisse alors comprendre la
géographie des sommets qu’à travers leur situation les uns par rapport aux autres et le sens des images bascule rapidement de la topographie à l’astronomie. La vision
géographique des sommets, délivrée de ses coordonnées, s’amalgame à la vision cosmique de constellations.
Cette œuvre de Neal Beggs s’inscrit dans le processus de travail initié avec Edelweiss, une peinture murale réalisée pour l’exposition Quand les latitudes deviennent suisses (Frac Lorraine, été 2005). Ce wall painting construit
sur un principe formel similaire, confondait lui aussi un démesurément grand (les montagnes) et un infiniment loin (les étoiles). Et comme The Helvetic System, il était une «ritournelle», pour reprendre le terme de Deleuze et Guattari, qui matérialisait un mouvement de déterritorialisation/reterritorialisation, formant ainsi un système de désir («a space of reverie», comme le décrit l’artiste). Mais ce qui fait la spécificité de The Helvetic System, par rapport à cette première pièce, c’est son modus operandi.
L’œuvre de Neal Beggs est attachée à une forme d’aventure particulière : l’escalade. Ex-alpiniste, il a gravi de façon semi-professionnelle de nombreux sommets, faisant
de son expérience un lifestyle. Une attitude qu’il restitue dans son œuvre en tentant d’invalider cette limite qui séparerait l’art de la vie. Ses pièces, souvent «praticables» par le public, empruntent leur vocabulaire formel à ce sport (mur de grimpe, prises…). Mais l’analogie se développe par-delà cette seule plasticité, l’artiste adapte en effet le principe de sa pratique sportive à son processus
de création artistique. Et puisque l’escalade est un art de la suspension, Neal Beggs réalise ici une œuvre in progress. The Helvetic System est en effet un programme en cours. Suspendue au développement même de l’acte créatif, la pièce s’écrit sur une durée de deux ans. L’accessibilité à l’œuvre, comme l’ascension d’un sommet, ne s’acquiert alors qu’au prix d’une expérience menée dans le temps. Au «miroir d’accélération» que constitue l’horizontalité du sol (Paul Virilio), s’oppose la lenteur comme seul moyen d’une progression verticale. La vitesse est liée à l’achèvement, ce qui, on l’aura compris, n’est pas la priorité de Neal Beggs pour qui le processus importe autant que sa fin.
Au regard de cette œuvre, ceux qui pourraient être tentés de se référer à la peinture, se rappelant quelques définitions données par d’éminents spécialistes («une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées», Greenberg, etc.), feraient fausse route. L’œuvre s’arrache à la tradition picturale. L’idée est ailleurs, dans ce que l’artiste nomme la «transparence». Celle de la traversée du support qui emmène au-delà de la physicalité du travail, dans cet «espace de rêverie» qui associe deux visions possibles. La carte, pensée comme relevé précis d’un espace circonscrit, devient dans l’œuvre de Neal Beggs le moyen permettant une psychogéographie ouverte dans laquelle deux réalités coexistent. Provoquant la corrélation des motifs, l’œuvre détourne l’information pour libérer l’imaginaire.

Guillaume Mansart