Né en 1931 à Siegen (DE). Décédé en 2007 à Rostock (DE) /Née en 1934 à Postdam (DE). Décédée en 2015 à Düsseldorf (DE)
1979
Photographie noir et blanc, tirage argentique
50 x 60 cm
Acquisition: 1991
Avec la même rigueur systématique qu’Eugène Atget pour le vieux Paris et qu’August Sander pour l’Allemagne, Bernd et Hilla Becher photographient le monde industriel : habitats ouvriers de Westphalie en 1957, bâtiments des usines de la Ruhr et de Hollande de 1961
à 1965, détails de structures et ensembles des bassins miniers de Lorraine et des États-Unis.
Suivant le principe de l’archivage encyclopédique, les «paysages» sont classés, étiquetés, regroupés selon le type de fonction, puis divisés en sous-ensembles formels.
Sans repère daté, sans profondeur et effet de lumière, ces gigantesques architectures retrouvent leur autonomie matérielle, leur individualité grâce à la série, la frontalité,
la précision et la clarté de l’objectif. Cependant, en tant que traces d’un patrimoine industriel éphémère et nomade – sujet d’archéologie en transformation qui exprime déjà sa disparition par le vide de la répétition
et de la similitude –, les trois sites lorrains inscrits dans la collection du Frac introduisent le témoignage du déclin de l’activité sidérurgique régionale en devenant ainsi les signes lisibles d’une mémoire. Insidieusement, ces photographies construisent la mémoire d’une époque moderne enfermée dans le paradoxe d’une productivité accrue – agrandissement des usines – et d’une diminution des besoins – crise de l’acier. De cette manière, elles évoquent l’histoire comme un phénomène instable qui dépend de conditions économiques, et autorisent une identification du regard à sa dimension sociale. Pourtant, morceaux isolés de leur contexte, témoins stables et puissants de
«l’univers des formes» qui ne concèdent à l’observation que leurs qualités matérielles, ces Anonyme Skulpturen (titre du journal – Kunst Zeitung n°2 – paru en 1969, qui, en 1970, sera publié sous la forme d’un livre), revendiquent le constat brutal d’une démarche artistique qui rejette, par son mode de classement, le projet d’une étude historique ou sociologique de la révolution industrielle.
Souvent associés aux conceptuels et aux minimalistes à cause de l’objectivité de leur démarche et de la radicalité formelle de leurs photographies, ces artistes ont capturé des monuments périssables dans la pérennité des images en s’appuyant sur la qualité sculpturale de leur sujet.
De cette position de témoin à la fois objectif et subjectif d’une réalité fragmentée, ils font émerger une interrogation obsédante de l’écart signifiant entre réalité et spécificité
du médium, tout en répertoriant inlassablement les différents aspects du multiple.
Maïté Vissault