Née en 1954 à Colombus, Ohio (US)
Vit et travaille à New York (US) et Berlin (DE)
1998-1999
Installation vidéo, couleur, sonore
Production Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, Tourcoing (FR)
Dimensions variables
Acquisition: 2004
Active depuis le milieu des années 1970, Judith Barry mène un travail de déconstruction des phénomènes perceptifs et anthropologiques, notamment par des installations vidéos qui sollicitent une acuité visuelle particulière et/ou une intervention physique. Son champ d’investigation croise autant les questions relatives aux genres sexuels que les processus de mémorisation visuelle et corporelle.
Voice off se présente comme une double vidéo-projection où les deux surfaces d’image sont placées dos à dos et permettent au regardeur de circuler de l’une à l’autre par un jeu d’ouverture dans l’écran. C’est donc une figure
de rhétorique filmique précise, le champ/contre-champ, que cette installation met en abîme. Malgré l’ellipse que comprend leur narration, les images et les sons de l’installation répondent à une diégétique précise. D’un côté, un personnage principal féminin ainsi que des hommes et d’autres femmes déambulent dans un espace scénique empli de brouillard, tour à tour échangeant entre eux,
monologuant, chantant, parlant au téléphone. De l’autre côté de l’écran, un homme, seul, semble de plus en plus obsédé par des voix qu’il perçoit du mur de la pièce où il se trouve. Jusqu’à ce qu’il décide de le casser. On le
voit alors pénétrer dans l’espace mitoyen où l’action s’est subitement arrêtée.
Le système de perception permet donc de reconstruire l’histoire de la manière dont le souhaite le regardeur, en prenant un point de vue tantôt masculin («His side», comme s’appelle la séquence où l’homme évolue) tantôt féminin («Her side»). Si le doute subsiste quant aux actions qui se déroulent (la femme et l’homme communiquent-ils ensemble quand ils parlent chacun au téléphone ? Le couple qui s’embrasse dans «Her side» est-il imaginé par l’un des protagonistes ?), c’est la puissance
de suggestion et d’interprétation de la voix dans ses multiples incidences qui est ici mise en scène. Comment une voix change-t-elle quand ses modalités d’expression sont modifiées (en parlant une autre langue – l’anglais, le français et l’allemand se succèdent notamment dans «Her side» – ou quand elle chante), comment le son peut-il induire des effets de visualisation et de projection de l’espace ? Tels sont les stimuli dont Voice off fait l’expérience. Et cette opération de démontage (par déconstruction de l’écran à la fois en tant qu’objet physique et support de fantasmes) ne va pas sans clins d’œil au cinéma classique et à ses poncifs (la séduction amoureuse entre des individus urbains isolés, qui plus est quand les personnages obéissent à des archétypes sexuels). Alors que l’installation joue de la fascination et de la jouissance qu’elle procure, la voix off permet d’amplifier la confrontation du masculin et du féminin. C’est ce que la dénudation de la voix cinématographique amène au bout du compte ici : une célébration dans la critique, à moins
qu’il ne s’agisse encore de l’inverse…
Frédéric Maufras