Née en 1965 à Billings, Montana (US)
Vit et travaille à New York (US)
2001
Vidéo, couleur, sonore
Durée : 6'
Acquisition: 2002
Qu’elle se fasse passer pour une journaliste à l’occasion d’une biennale internationale, prononce devant des mécènes une conférence-striptease caricaturant les rapports obséquieux collectionneur-artiste ou bien que, déguisée en médiatrice, elle détourne le public d’un musée pour une visite subversive des lieux, Andrea Fraser ne cesse de défier la position de l’artiste au sein d’un champ institutionnel, économique et marketing de l’art. Au-delà de leur inscription directe dans cette réalité spécifique, ces mini-scénarii réactifs, qu’elle interprète elle-même, instillent néanmoins une critique structurelle aux enjeux politiques et sociaux plus universels. Ainsi de la courte vidéo-performance Little Frank and His Carp (2001), filmée en caméra cachée, dans laquelle l’artiste incarne une visiteuse du musée Guggenheim de Bilbao, réagissant naïvement et émotionnellement aux injonctions célébratives distillées d’une voix suave par un audioguide vantant les mérites de cette architecture de Frank Gehry. Une façon de désigner l’espace institutionnel de l’art comme lieu de consommation, mais aussi lieu de pouvoir s’attachant à créer et guider nos émotions vers la plus grande vulgarité. Exagérément soumise à un ordre culturel des choses (fétichisation de l’écrin plus que du contenant, la vitrine plus que l’objet, le musée plus que les œuvres) qui contrôle finalement aussi bien les corps que les imaginaires, l’artiste ira jusqu’à se frotter érotiquement contre l’un des piliers du bâtiment. Symptômes physiques incontrôlables dus à une contamination parasitaire et invisible par un discours propagandiste associant l’architecture contemporaine à une fascination de type sacré. Tourisme (sexuel) en Arty-land. Travaillant comme souvent sur le langage et la rhétorique professionnels de son propre milieu, Fraser, à travers ce geste simple, dénonce en actes une translation directe de la sémantique marketing et publicitaire vers le secteur artistique, a priori espace de l’intelligence et du savoir censé échapper au formalisme grossier du marché. Erreur. La force et l’efficacité de Fraser, comme dans la plupart de ses autres travaux, est de n’utiliser ici qu’un discours réel, non manipulé, non retouché, mais dont la logique injonctive est strictement poussée jusqu’à l’absurde. Ready-made institutionnel. Résolument et simplement engagée, cette intervention in-situationniste questionne, avec une feinte ingénuité et une éclairante idiotie, cette opposition politique fondamentale entre célébration et critique (telle que discutée, par exemple, par le philosophe Luc Boltanski), aujourd’hui contestée par une postmodernité consensuelle confondant de plus en plus aisément l’art et la culture.
Guillaume Désanges