Née en 1968 à Karachi (PK)
Vit et travaille à Londres (GB)
2000
Elastique noir, fixations
Dimensions variables
Acquisition: 2002
«L’art est juste une manifestation, un cheval de Troie pour les idées.»1
«Tout ce qui est à voir est ce que vous voyez»2, cette phrase célèbre de Frank Stella, érigée en programme autant qu’en définition-justification de leur pratique par les pères de l’art minimal, est devenue emblématique d’une volonté d’éliminer toute illusion dans l’art. Une injonction aux accents autoritaires que Ceal Floyer s’attache délibérément et insidieusement à subvertir en se jouant de la dialectique entre le littéral et la construction de sens.
L’artiste explore la relation entre langage et perception tout en introduisant une touche de décalage et de dérision. À travers les titres de ses œuvres, elle insinue le doute sur le caractère irréfutable de la nature de l’objet présenté et remet en question l’immédiateté de la perception. Ainsi, Monochrome Till Receipt (White), 2000, se présente comme une simple liste de courses collée sur le mur de l’espace d’exposition qui, après un examen plus attentif de son contenu, révèle sa solution: l’intégralité des objets et produits de la liste sont de couleur blanche (sucre, lait, mouchoirs en papier, talc…) !
La pièce Title Variable (2000), dont le titre dépend de la dimension du mur qui l’accueille, participe de cette réflexion sur le langage et sur le rapport entre penser et voir. Elle consiste en un fil élastique noir étiré au maximum de son potentiel sur la longueur d’un mur blanc. Le matériau choisi est doublement nié dans sa spécificité : à la fois dans son usage (étiré jusqu’au point de rupture, il perd son caractère extensible), et dans sa dénomination (à chaque présentation, l’élastique dont la taille est par essence en constante redéfinition, se trouve qualifié d’une dimension qui vaut pour titre). Le titre est déterminé comme suit : une fois que l’élastique est étiré à son maximum dans l’espace, on soustrait à sa longueur d’origine celle de son extension3. Délibérément absurde, l’intitulé souligne le décalage entre l’arbitraire du titre (du nom) et l’interprétation qu’il entraîne (la dimension annoncée comme titre et la longueur réelle du mur).
La logique et l’évidence – du mot et de la mesure – sont subverties, proposant une version contemporaine et absurde des célèbres Measurements Series de Mel Bochner. Selon l’une des procédures établies (Groupe B : mesures situées), l’artiste entreprit à partir de 1967 d’effectuer des mesures d’espaces réels, et de les reporter directement sur les murs, soulignant ainsi la tangibilité du lieu. L’élastique de Ceal Floyer nous invite, au contraire, à repousser mentalement les limites et les propriétés physiques de l’espace dans lequel l’œuvre s’inscrit. La simplicité de l’expérience, le caractère anti-spectaculaire des dispositifs de Ceal Floyer, souvent à la limite de la visibilité, déjouent nos attentes au risque de passer inaperçus au premier regard. Comme souvent chez l’artiste, la clé de l’énigme et de l’interprétation, voire l’explication du processus nous sont proposées dans le jeu de mots du titre. Pas de subterfuge mais une ironie, un humour subtil dans ce jeu de piste langagier qui va à l’encontre de l’austérité, de l’ultra sobriété et du sérieux
incarnés par les tenants de l’art conceptuel et minimal.
Hélène Guenin
1 Freddy Contreras / Ceal Floyer, catalogue de l’exposition à la galerie The Showroom, Londres, 1995.
2 Interview de Frank Stella par Bruce Glaser, «What you see is what you see», in
Regards sur l’art américain des années
soixante, Territoires, Paris, 1988.
3 Montrée en 2002 à la Lisson Gallery (Londres), la pièce était alors intitulée
3 m 86 cm, 2002 ; soit les 5 mètres de l’élastique moins le
1 m 14 cm restant à parcourir.