retour

Kirsten Pieroth

Née à Offenbach-sur-le-Main (DE). Vit et travaille à Berlin (DE).


Weltkarte

2003
2 impressions encre couleur
132 x 216 cm
Acquisition: 2013


Kirsten Pieroth conçoit au début des années 2000 des cartes qui s’affranchissent des codes habituels de re-présentation du monde. Ses manipulations cartographiques touchent d’abord des archipels dont elle re-classe les îles par tailles (Griechenland_, 2002) ou par noms (_Indonesien, 2002). Extrait de sa mer bleue et épinglé sur fond blanc, chaque îlot devient le spécimen d’une classification dont la pertinence scientifique reste à prouver. Avec sa Weltkarte (« Carte du monde », 2003), Pieroth continue son entreprise de démantèlement et explose la mappemonde façon puzzle. Découpés à l’emporte-pièce, les pays sont rangés par ordre alphabétique sur deux panneaux distincts, dont la division éclate un peu plus l’unité synoptique du planisphère. Impossible dès lors d’embrasser le monde d’un seul regard, ni d’observer l’imbrication des nations voisines.

L’implosion de Weltkarte dénude donc l’arbitraire des frontières et renforce le morcellement des nations. Ciselés par des limites naturelles (côtes, crêtes ou fleuves), quadrillés par des traités humains ou départagés par des facteurs culturels, les contours des pays, sinueux ou rectilignes, alternent abstraction informe et géométrique. Malgré son aplomb scolaire, Weltkarte délimite un savoir qui n’a rien de définitif, les frontières étant sans cesse redessinées par de nouveaux (dés-)accords et submergées par l’élévation du niveau des océans. Les rapports d’échelle font quant à eux apparaître des contrastes flagrants – l’insignifiance des états microscopiques contre l’immensité des états-continents –, sans que pour autant taille et puissance ne soient proportionnellement liées.

Dans l’esprit des cartes détournées par les artistes conceptuels dans les années 1960 et 1970, Kirsten Pieroth s’attaque à leur raison d’être même : la localisation. Weltkarte est ainsi la digne héritière de la carte lacunaire des États-Unis où le groupe Art & Language n’avait fait figurer que l’Iowa et le Kentucky, se contentant d’énumérer la cinquantaine d’états manquants (Map not to indicate, 1967). Tout en taquinant la convention et l’immatérialité des frontières, les conceptuels en ont aussi dévoyé les systèmes iconographique et linguistique. Classés par noms, les pays de Weltkarte forment un abécédaire proche de La Conquête de l’espace. Atlas à l’usage des artistes et des militaires (1975) de Marcel Broodthaers : livre miniature où les silhouettes de trente-deux pays se succèdent par ordre alphabétique, dans des proportions identiques. Rarement anodin, le filtre linguistique trahit en premier lieu la langue du cartographe, souvent implicite et faussement transparente. Pensée, écrite et composée en allemand, la Weltkarte de Pieroth débute ainsi par l’Egypte (« Aegypt ») là où le français aurait placé l’Afghanistan. Une manière de rappeler que « l’ordre du monde » n’est jamais une donnée mais toujours une construction.

Hélène Meisel