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Cornelia Parker

Née en 1956 à Cheshire (UK). Vit et travaille à Londres (UK)


Shadow of a Doubt

2004
Installation, bois, fils transparents.
144,5 x 306,5 x 62 cm
Acquisition: 2008


Si plusieurs de ses œuvres récentes (Measuring Liberty with a Dollar, 2007 ; Chomskian Abstract, 2008) expriment un attrait prépondérant pour le rôle politique dont peut se saisir l’artiste, Cornelia Parker a toujours été fascinée par les processus de déflagration, naturels (cosmiques) ou issus de la maîtrise de la main de l’homme sur le monde physique (bombe atomique). Elle accède à la notoriété avec Cold Dark Matter : An Exploded View (1991), une installation réalisée à partir de l’explosion d’une cabane de jardin : suspendus au plafond par des fils transparents et éclairés par une lumière centrale, divers débris (jouets d’enfants, outils de jardinage, objets domestiques, résidus de livres, etc.) livrent une puissante constellation spatiale dans laquelle les ombres projetées hantant l’espace font basculer l’issue de la détonation dans une atmosphère tranquille et méditative.
Passant du macro au microcosme et vice-versa, Cornelia Parker témoigne par ailleurs d’un attrait pour les signes de vie laissés par quelques-uns des illustres penseurs, philosophes et écrivains de notre XXe siècle. Se rendant dans les musées qui leur sont dédiés, l’artiste macrophotographie divers objets leur ayant appartenu et élabore un répertoire incongru échantillonnant diverses parcelles de vies : Brontëan Abstract (Charlotte Brontë’s pincushion)(2006) montre les petits trous du coussin pique-aiguilles de Charlotte Brontë, qui apparaissent en retour semblables à une constellation mirifique ; Einstein’s Abstracts (1999), les traces de craie du tableau noir d’Einstein, qui regardées de près formulent d’étranges cosmogonies.

Cornelia Parker ne produit pas tant d’objets qu’elle n’en récupère, les manipulant afin de pourvoir à leur fin de vie, leur concédant une seconde existence. L’artiste oriente leur perception en insistant moins sur leur valeur de témoignage que sur le raccourci imagé entre leur signification intrinsèque et les marques de vie qui les ont façonnés, jetant dès lors un pont entre la connaissance collective et la perception individuelle de chacun. Dès lors, l’ambivalence des mots et leur pouvoir évocateur sont à l’œuvre dans la démarche où associations verbale et visuelle mettent en branle l’imaginaire. Aussi n’est-il pas anodin de noter l’intitulé de l’une de ses pièces, Transitional Object II (2008), référence explicite à la notion de l’objet transitionnel du psychanalyste britannique Donald Winnicott que Lacan étaiera plus tard par l’objet « a » qui définit l’objet du désir.
Shadow of a Doubt est une installation constituée de sept poutres de bois récupérées dans une ville fantôme du Texas et posées contre le mur d’exposition. À y regarder de plus près, il semble que les poutres se reposent et dorment, animées par une étrange lévitation car aucune d’elles ne touche la paroi murale. La dimension fantomatique n’est pas étrangère à l’atmosphère de l’œuvre de Parker. Déjà Blue Shift (2001), la robe de nuit portée par Mia Farrow dans « Rosemary’s Baby » de Polanski exposée dans une light box jouait de la connotation spectrale. Si l’on ne peut s’empêcher de penser au film d’Hitchcock « Shadow of a Doubt » (1943), la référence serait plus à chercher dans la valeur psychologique de l’intrigue rassemblant les personnages : l’admiration dubitative d’une nièce suspectant son oncle d’être le tueur de riches veuves. Ainsi que l’exprime Parker : « Au cœur de l’Art, il y a toujours l’idée de réévaluer, de remettre en question le regard que nous posons sur le monde », ce qui nous amène à réfléchir sur la compréhension parcellaire de ce que l’on voit et les mécanismes psychologiques et physiques qui oblitèrent l’accès à la réalité objective des choses.

Cécilia Bezzan