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Jan Mancuska

Né en 1972 à Bratislava, Slovaquie.
Décédé en 2011 à Prague, République Tchèque.


While I Walked… In my studio in ISCP, 323W 39th Street #811, New York

2003
Ruban élastique textile avec impression blanche
Dimension variable
Acquisition: 2006


Le lieu est traversé en différents endroits par une ligne noire tendue, attachée en plusieurs points de part et d’autre des murs de la pièce. À première vue, en dehors du contraste produit par cette ligne qui se détache visuellement et spatialement des murs blancs, rien de plus ne semble s’offrir à nos yeux. Erreur ! Cette œuvre interactive tout en subtilité demande qu’on l’approche. Ainsi peut-on s’apercevoir que la ligne est faite de tissus et qu’il devient aisé, grâce à sa hauteur adaptée, de lire le texte qui y est inscrit.

Le texte, comme l’écriture ou la lecture sortent rarement d’un support en deux dimensions, de plus ils nous renvoient généralement à une activité statique. Or, l’œuvre de Ján Manãu‰ka offre une dimension supplémentaire : outre le volume qui naît de l’installation et qui inscrit la perception du texte lui-même dans une troisième dimension, notre acte de lecture devient tout à coup indissociable d’une expérience du mouvement, d’un accompagnement par le corps entier. Cette déambulation qui nous est nécessaire pour suivre – littéralement – le fil de l’histoire, est habilement menée par l’artiste. La tridimension n’a rien de fortuit chez Ján Mancuska : la direction vers laquelle le texte nous engage à marcher lui donne justement du sens, car il y a souvent un parallèle entre ce que nous lisons et où, dans l’espace, nous lisons. Il s’agit alors pour le lecteur d’être physiquement en
adéquation avec ce qui défile sous ses yeux, confondant parfois ses propres pensées avec celles qui se révèlent être le dialogue intérieur du narrateur. While I walked (2005) nous convie précisément à cette expérience. On peut ainsi se trouver dans un parallélisme assez troublant entre la réalité de notre action et le caractère fictif de ce qu’on lit.

Ján Mancuska éprouve la résistance ou non de cette marge étroite, de cet interstice poreux qui existe entre la fiction narrative, l’imagination et le réel. Ses œuvres partent du principe que notre appréhension du réel est subjective. Elle relève de processus cognitifs, sujets à des perturbations psychologiques ou à des déformations liées à l’approche interprétative et sensorielle que nous avons de la réalité. Cet état de fait nous met dans une situation paradoxale par rapport à la question du visible et du non visible. Si l’on considère que nos sens – en l’occurrence la vue – n’ont pas plus d’objectivité que ce qui peut résulter de notre imagination, alors la vision peut être indifféremment relayée par un autre mode de perception, peut-être plus indirect, comme la lecture d’un texte descriptif.

Dans la lignée des artistes conceptuels ayant travaillé sur le langage comme Art & Langage, Lawrence Weiner ou Joseph Kosuth, les oeuvres de Ján Mancuska n’hésitent cependant pas à user de la narration, de la fiction et sollicitent une approche personnelle et plurisensorielle
de la part du visiteur.

Carole Billy