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Joël-Peter Witkin

Né en 1939 à Brooklyn, New York (US)
Vit et travaille à Albuquerque, New Mexico (US)


Negre's Fetishist

1991
Photographie noir et blanc, tirage argentique
63,5 x 81 cm
Acquisition: 1991


Êtres hybrides, difformes, paranormaux exhibant leurs différences, morts posant dans leurs apparats lugubres, morceaux découpés en offrande au voyeur, les acteurs qui hantent les photographies de Witkin exposent au regard le spectacle obscène et indécent de leur curieuse beauté. Parés de bijoux, de fétiches et de masques comme pour une fête macabre à la gloire du sexe, de la religion et de la mort, ils semblent jouir du décor, de l’éternité de la pose et de la complicité de l’appareil. Witkin crée, avec ses figurants, un monde autre, décadent et violent qui renvoie sans concession l’image de fantasmes inassouvis et de tortures volontaires. Ses personnages sont des êtres de chair et de sang éminemment religieux parce qu’ils sont l’expression de la finitude de l’homme et de son hétérogénéité. Tout comme eux, la photographie exhibe sa peau griffée, maquillée, mordue par le temps et les excès.
Truffés de références, de détournements explicites aux peintres hollandais du XVIIe siècle, à Bosch, Goya, Géricault, Courbet, Picasso…, les images de Witkin rendent hommage à des nourritures spirituelles, aux maîtres de l’art et aux poètes de l’indicible (Baudelaire, Bataille, Artaud, Beckett…). Negre’s Fetishist, dernière acquisition du Frac déjà riche d’un vaste ensemble photographique de Witkin, s’inspire d’une photographie de Charles Nègre de 1850, de la rencontre avec un modèle physique ressemblant de manière troublante à l’original et de la découverte d’un ouvrage sur le fétichisme des pieds. En hommage à la sensualité et la beauté émanant de l’illustre photographie, Witkin projette ses propres désirs sexuels dans les déformations surnaturelles des pieds devenus «trophées» travestis des jeux de séduction. L’artiste traite ici la photographie comme le lieu d’une exploration de l’âme, un objet de fascination et de plaisir. Ses oeuvres sont des icônes de la théâtralité de l’existence.
Witkin, comme Jan Saudek, est un photographe de l’anatomie intérieure pour lequel le studio est un laboratoire où se pratique l’alchimie des apparences. Provoquantes et troublantes, ses photographies sont des outrages et des liturgies à la condition humaine.

Maïté Vissault