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Éric Poitevin

Né en 1961 à Longuyon (FR)
Vit et travaille à Mangiennes (FR)


Sans titre

1993-1994
15 photographies couleur
41 x 41 cm chacune
Acquisition: 1995


Les séries photographiques d’Éric Poitevin sont des expériences dans lesquelles l’adéquation délicate du médium à son sujet appelle la mémoire réifiée. Ses portraits de religieuses et de cardinaux de la Curie romaine, de vignerons d’Arbois, d’anciens combattants de la guerre de 14-18, ses paysages de mares, de sous-bois, ses chevreuils tués et ses papillons punaisés, exposent leurs stigmates sous l’œil objectif de l’appareil. Ses sujets ont toujours quelque chose à voir avec la disparition et, bien souvent, ses photographies se laissent contempler dans leur forme sanctifiée comme une commémoration. Poitevin réfléchit ainsi ce que Roland Barthes observait : «contemporaine du recul des rites, la photographie correspondrait peut-être à l’intrusion, dans notre société moderne, d’une mort asymbolique, hors religion, hors rituel, sorte de plongée brusque dans la mort littérale.»1 Pour Éric Poitevin, la photographie est un médium privilégié pour observer le monde, un champ d’investigation du réel susceptible de rendre visible la vérité des choses. La collection, la répétition et la série lui permettent d’inscrire le temps asymptotique de l’histoire dans l’image et d’introduire la différence dans le semblable. Ainsi, enfoncés et isolés dans la pénombre, environnés du silence et de la perfection abstraite des proportions du carré, les quinze pierres, crânes ou astres, ne laissent voir sous la lumière que leur matière minérale en nombre répété. Telle «une mort littérale» de l’objet au cœur du néant, la forme plonge dans la nature abstraite des éléments et propose une expérience de la proximité tenue à distance par la fixité de l’image. Au gré des associations, elle peut être à la fois symbole et allégorie propice à cette méditation philosophique d’où résonne la présence idéelle des images.
Hors contexte, les sujets photographiés par Poitevin renvoient de loin au lieu de résidence de l’artiste : la Meuse, pays marqué par les déchirures de la guerre, la tristesse sage des paysages, le silence imposé par la terre…
Mais, parce qu’ils sont avant tout photographies, ils se confrontent à la valeur formelle de l’image, à ce qui les qualifie en tant que signes et icônes de la mémoire figée dans l’éternité glacée du cliché.

Maïté Vissault

1 Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie, Gallimard, Paris, 1980, p. 144.