retour

Tracey Moffatt

Née en 1960 à Brisbane (AU)
Vit et travaille à Sydney (AU) et New York (US)


Artist

1999
Vidéo, couleur, sonore
Réalisée avec Gary Hillberg
Durée : 10'
Acquisition: 2002


Cela commence par une réplique du Lauréat de Mike Nichols. Dustin Hoffman : «Why do you want to talk about art ?» (Pourquoi voulez-vous parler d’art?). Réponse désabusée d’Anne Bancroft : «I don’t» (Je n’y tiens pas). Dont acte : montrons alors. Plutôt qu’un discours subjectif sur la condition psychologique et sociale de ses pairs à travers l’histoire, Tracey Moffatt, en collaboration avec Gary Hillberg, nous propose ici un montage d’extraits de films de cinéma représentant des figures d’artistes au travail. Un zapping rythmé de tous les stéréotypes artistiques véhiculés par Hollywood, du positif au négatif, de la célébration exaltée de l’inspiration créatrice à la violence destructrice d’une passion dévorante, en passant par le fantasme, la pédanterie verbeuse, le doute, l’échec, la haine, le dégoût, etc. Une typologie ambigument démonstrative des motifs triviaux reproduits par un septième art dominant et revanchard envers ses prédécesseurs.
Même si elle semble à première vue singulière dans l’œuvre de la photographe et vidéaste australienne, cette vidéo plutôt gaguesque aborde, comme souvent dans ses travaux, la question de la mémoire, et du rôle déterminant de l’iconographie audiovisuelle dans la formalisation de celle-ci. Les images narratives de Tracey Moffatt, comme les fantasmes ou les représentations de l’imaginaire populaire, sont toujours construites sur une étrange combinaison entre réalité documentaire et esthétique médiatique de masse (cinéma, télévision, journalisme). Ce faisant, elle adopte une posture critique complexe et pour le moins ambivalente envers ses sujets. Ici, particulièrement, la subversion reste quasi-invisible, tant la séduction formelle de ce clip promotionnel semble jouer la connivence (d’où malaise) avec ce qu’elle dénonce, arpentant les frontières floues entre hommage et critique, entre incrédulité envers l’artificialité outrancière des dispositifs et fascination pour l’image familière du technicolor. Plus profondément, dans son choix d’extraits volontairement circonscrit à Hollywood, c’est-à-dire à un certain cinéma mainstream mondialisé, l’artiste d’origine aborigène pointe, avec une évidence dérangeante, la prédominance occidentale, blanche et bourgeoise dans la modélisation d’un profil «Artiste». Actualisant par l’image la polysémie du mot «cliché», Tracey Moffatt démontre en actes comment l’image en mouvement du cinéma «fige» son sujet, comment des caractères psychologiques incrustés dans l’imaginaire collectif ont pu être totalement inventés par une industrie hollywoodienne à la capacité insidieuse de tout aplanir et de ne raconter qu’une seule histoire.

Guillaume Désanges