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Natalia LL

Née en 1937 à Zywiec (PL)
Vit et travaille à Wroclaw (PL)


Consumer Art

1972
Photographies noir et blanc, diptyque
100 x 100 cm chacune
Acquisition: 2003


Ce n’est pas elle et il y a quelque chose au-delà de cela. Alors, vraiment, ce n’est pas elle ? C’est la question qui se pose régulièrement lorsqu’on évoque les premiers travaux de l’artiste féministe polonaise Natalia Lach-Lachowicz. Effectivement, ce n’est pas elle. Ela M., Anna D., Danuta N. et d’autres femmes qui ont joué et posé dans les œuvres au début des années 1970 de Natalia – Consumer Art et Post-Consumer Art – sont quasi anonymes, connues alors du seul milieu de l’art de Wroclaw (Breslau). La situation devient encore plus confuse par la suite quand l’artiste utilise l’image Ela M. – à première vue celle d’une blonde innocence – pour son projet lors de la 9e Biennale de Paris au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1975, afin d’établir le personnage connu du public sous le nom de Natalia LL que Natalia dotera même d’une date de naissance : celle de son frère. En 1971, dans le cadre de l’installation Natalia LL, Natalia avait abrégé son nom de famille, ne gardant que les deux majuscules initiales qui forment aujourd’hui encore son nom officiel d’artiste1. Ce personnage moitié réel, moitié fictif sera pendant longtemps la seule identité ou marque de fabrique de l’artiste, bien qu’elle décide plus tard d’utiliser son propre visage et son propre corps. Ce recours à l’avatar en lieu et place du visage de l’artiste paraît offrir une clef de compréhension de la position théorique à partir de laquelle son art s’élabore. Il s’agit d’une forme de réduction, tant au niveau de la production qu’à celui de la réception.

Ces œuvres frapperaient le spectateur par leurs contenus sexuels expressifs, quoique remémorés de façon symbolique : cette question a donné lieu à de nombreux débats, menant souvent à des conclusions contradictoires. Les personnages féminins qui jouent dans les différentes versions vidéo ou photographiques de la pièce mangent de façon enjouée bananes, saucisses et cerises, alors que dans la série suivante, Post-Consumer Art, c’est d’une manière non moins suggestive qu’ils mangent de la gelée ou du pudding, qu’ils laissent dégouliner de la bouche pour se lécher les babines avec une irrésistible délectation. Et après ? Bonne question, car il semble évident que ce sont les femmes qui dominent ici et que le regard masculin n’entre pas en ligne de compte. À l’époque où cette série d’œuvres a été créée, l’artiste n’a jamais affirmé une quelconque volonté de traiter le sexe comme thème artistique ni d’adopter une quelconque position féministe critique. À cet égard son arme est le rire et le refus d’être dépendante de la symbolique sexuelle2. En outre, dans ses déclarations écrites, LL joue avec l’imagination et les attentes du spectateur. Non, elle ne cherche pas à titiller mais plutôt à proposer un enregistrement objectif de la vie quotidienne, comme elle le déclare dans ses manifestes artistiques. Étant liée à la scène de l’art conceptuel de Breslau, Natalia LL croyait à l’enregistrement permanent des activités humaines. Une autre œuvre de cette période, Intimate Sphere, propose sans biaiser, l’enregistrement photographique de rapports sexuels, car, dit-elle, le sexe est une activité humaine comme une autre au même titre que manger ou dormir. Mais sous cette attrayante présentation visuelle se cache une séduction. Plus le visuel est attirant et narratif, plus Natalia LL nous oblige à chercher ce qui se cache derrière et à nous débattre avec l’art lui-même. Entièrement centrée sur le langage de l’art, la pensée conceptuelle et l’enregistrement comme pratique, sa pratique à elle peut se lire également comme une métanarration par rapport à l’art lui-même. Natalia veut un art libéré de toute définition de ce qui est représenté dans Consumer Art. Comme elle l’indique dans ses
«Categorical Statements from the Sphere of Post-consumer Art» (déclarations catégoriques de la sphère de l’art post-consumériste) : «L’art ne devient de l’art post-consumériste que lorsqu’il a été défini par l’art.»3 Son exigence est le contraire du représenté. Elle demande au spectateur de viser plus loin : ce qui, à y regarder de plus près, n’est pas une mince affaire.

Aneta Szylak

1 Texty. Natalia LL, Galeria Bielska BWA, Bielsko-Biala, 2004, pp. 503-504.

2 Cet aspect est discuté par Gislind Nabakowski : «Zwei Mythen werden mit vergnügen Preisgegeben», in Heute Kunst, n° 9, février-mars 1975, réimprimé in : Texty. Natalia LL, Galeria Bielska BWA, Bielsko-Biala, 2004.

3 Op. cit. p. 313.