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Dora Garcia

Née en 1965 à Valladolid (ES)
Vit et travaille à Barcelone (ES)


Proxy/Coma

2001
Performance et installation
Dimensions variables
Acquisition: 2001


«La vie ne peut être comprise qu’en la rembobinant.»1
Comment le pouvoir s’exerce-t-il ? Quels sont les mécanismes de contrôle et comment opèrent-ils ? Dans quelle mesure acceptons-nous de nous soumettre à des règles ? Les dispositifs proposés par Dora Garcia sont autant de laboratoires, d’expériences qui permettent d’observer les comportements et d’éprouver la frontière mouvante du pouvoir et de «ses effets de domination (liés à) des dispositions, des manœuvres, des tactiques, des techniques, des fonctionnements»2.
Influencée par l’art conceptuel, notamment par le travail de Dan Graham, Dora Garcia mène une réflexion sur les paramètres et conventions de présentation de l’art, la question du temps (réel et fictionnel) et sur les limites entre représentation et réalité. La série de projets Inserts in real time_, initiée en 2001, pose la question de la définition de l’art et des limites entre performance et situation réelle. Ce nom de inserts «traduit l’intention que ces pièces ont d’interrompre, de bouleverser, de questionner ou déformer des situations réelles en temps réel. Tous les inserts sont joués par des acteurs (professionnels ou non professionnels, dans le sens où ils agissent selon certaines instructions) et fonctionnent dans plusieurs contextes, pas nécessairement des contextes d’exposition.»3
_Proxy / Coma
4, l’une de ces expériences, se déroule dans le contexte de l’institution et introduit la notion de surveillance. Dans une première pièce, une femme, désignée sous le nom générique de «Proxy», vit dans l’espace, évolue au milieu des visiteurs et se mêle à eux. Sur la durée de l’exposition et pendant les heures d’ouverture au public, «Proxy» est filmée : ses faits et gestes, ceux des visiteurs présents dans l’espace, sont enregistrés par une caméra chaque jour sur deux cassettes de quatre heures. Chaque cassette est ensuite soigneusement datée, inventoriée sous le nom de «Coma» puis rangée dans une bibliothèque installée dans la seconde pièce. Chaque minute, chaque jour sont systématiquement documentés, archivés, donnant ainsi une mesure physique du temps écoulé de l’exposition.
Dans une salle adjacente et de taille identique, un vidéo-projecteur diffuse une cassette choisie au hasard parmi les rayonnages, produisant ainsi un décalage, une perturbation du cycle de temps. Passé, présent et futur s’enchevêtrent, ouvrant «à des séries infinies de temps, à un réseau croissant et vertigineux de temps divergents, convergents et parallèles.»5 Dora Garcia envisage l’exposition comme un protocole d’expérience : soit une unité de temps, une unité de lieu, au sein desquelles visiteurs et œuvres se rencontrent. L’artiste réunit ces paramètres et transforme le lieu de présentation des œuvres en un lieu où l’œuvre surgit. Les enregistrements vidéo documentent ce temps vécu en commun.
Cependant cette définition comporte sa propre subversion : Dora Garcia déroute à dessein le spectateur. Elle brouille ses repères chronologiques, en le situant dans un présent dédoublé (le sien – celui de la performance
– et le présent aléatoire et différé de la vidéo diffusée). Elle insuffle le doute sur son implication dans l’exposition en lui assignant, à son insu, le rôle d’acteur d’une performance et celui de spectateur d’un événement déjà produit selon des paramètres définis. En frustrant et en perturbant ainsi les attentes du public, elle le pousse à s’interroger sur le concept même d’exposition et sur son propre rôle.
En introduisant la dimension de contrôle permanent dans les règles du jeu et en suggérant l’existence de cette surveillance, elle amène «Proxy» tout comme le visiteur à se poser la question des limites de ce qu’il peut accepter, des limites de sa soumission aux règles fixées par l’artiste et par l’institution.

Hélène Guenin

1 Dora Garcia, Le futur doit être dangereux, 1991-2005, Musac, Museo de Arte Contemporáneo de Castilla y León / Frac Bourgogne, Dijon, 2005.

2 Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, Paris, 2005, p. 35.

3 http://www.doragarcia.net/inserts/intro.html

4 Proxy / Coma fut montrée pour la première fois à la Fundació La Caixa à Barcelone, en octobre et novembre 2001.

5 Jorge Luis Borges, «Le jardin aux sentiers qui bifurquent», in Fictions, Gallimard, Folio, Paris, 2005, p. 103.

Exposition A l’ombre d’un doute, été 2010, Frac Lorraine Metz : interview d’une proxy