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Ann Veronica Janssens

Née en 1956 à Folkestone (GB)
Vit et travaille à Bruxelles (BE)


Untitled (Blue Glitter)

2016
Installation. Paillettes Bleues
Dimensions variables
Acquisition: 2017


Une lumière s’échappe du sol. Pendant que je m’avance vers elle, des couleurs irisées scintillent autour d’un bleu turquoise. Le bleu tend vers le gris, parfois vers le jaune, chacun le perçoit différemment. Pas d’électricité à la source de la lumière, mais un jeu de reflets porté par des paillettes déposées sur le sol. La forme qu’elles y dessinent est étrange. Tout se passe comme si un monticule de poudre avait été posé puis que quelque chose les avait déportés. Dans cet élan, le mouvement aérien estompe son trait. Comme un ectoplasme, la forme floue joue avec son environnement. A chaque mouvement que je fais, elle se modifie et fait rayonner ses vibrations.

Si tout bouge, presque rien n’est palpable : les paillettes nous échappent, et la substance qui les active est immatérielle, la lumière. Depuis elle, l’œuvre d’art devient radicalement différente : ce n’est pas un objet qui s’accroche sur un mur, s’entrepose, mais une chose fugitive, en constante variation. Capturer la lumière, c’était tout le travail du peintre de la renaissance. Il joua sans relâche avec les clairs obscurs pour révéler la beauté d’un drapé ou d’un visage. La lumière était à l’image de l’aura, ce je ne sais quoi unique qui donne à l’œuvre d’art sa valeur de talisman et nous procure des émotions rares. Mais depuis que tout se reproduit, la rareté diminue. Avec elle, selon le philosophe et critique d’art Walter Benjamin, l’aura se perd.

Comme quelques autres artistes tels que James Turell ou Olafur Eliasson, l’artiste belge Ann Veronica Janssens a pris au mot la quête de la lumière. Si la représentation est épuisée, alors il faut aller directement dans sa présence ; la lumière telle quelle. Apprendre à regarder la lumière pour qu’elle retrouve sa valeur d’aura n’est pas une simple entreprise. Au lieu de se concentrer uniquement dans l’objet, il faudra déjà prendre en compte là où la lumière va : l’environnement, et le déplacement du visiteur. C’est donc dans l’expérience même, sa qualité temporelle et spatiale que tout se joue. Située, elle devient alors singulière : chaque mouvement produit un changement non pas dans l’objet mais dans sa perception.

Mais cela n’est pas suffisant, Janssens doit jouer avec nos sensations afin d’intensifier l’expérience perceptive. Par exemple en nous empêchant de voir distinctement, ou nous tromper dans ce que nous voyons. Brumes (RR Lyrae , 2014), brouillards (Fantazy , 2013), matières irisées ou réfléchissantes (CL2 Blue Shadow, 2015), des textures jouant avec l’indéterminé sont employées avec des couleurs. Avec une gestuelle toujours minimale, Janssens sculpte l’environnement et remet ainsi en cause nos habitudes perceptives. C’est ainsi que ce qui était fixe devient mouvant, ce qui était certain devient douteux, ce qui était ordinaire devient singulier. C’est peut-être juste cela, l’aura, le moment où l’incertitude teinte l’atmosphère et provoque des échappées à l’intérieur même du réel.

Flora Katz